"Je sais que le temps m’est compté", a souligné la membre du gouvernement lors de la passation de pouvoir avec Franck Riester, en clin d'oeil à la longévité de plus en plus réduite des locataires de la rue de Valois. Mais c'est aussi une manière de reconnaitre qu’à moins de deux ans des élections présidentielles, redresser le monde de la culture, "terrassé" par la crise sanitaire, demandera un formidable effort et une véritable volonté politique.
"L’urgence absolue en ce début d’été sera d’aider à la remise en route et en état des lieux de culture : festivals, musées, cinémas, monuments historiques", a plaidé Roselyne Bachelot, qui a aussi eu quelques mots pour le livre et sa "filière": éditeurs, écrivains, libraires et salons. La ministre s’est par ailleurs dite favorable à un "approfondissement" du plan bibliothèques pour faire des établissements communaux des "lieux de rencontres plurielles" où les jeunes pourront faire la connaissance d’écrivains faits "de chair et de sang".
En bibliothèque, "ouvrir bien"
Alice Bernard, présidente de l'Association des bibliothécaires de France (ABF) estime toutefois que la ministre "a surtout exprimé son attention au soutien du spectacle vivant, important bien évidemment pour la vie culturelle de nos territoires". Mais, rajoute la présidente, "le monde de la culture est bien plus vaste que cela, et nous souhaiterions également l’entendre sur d’autres sujets."
L'ABF "attend un soutien fort" de la ministre au développement des bibliothèques. "Les bibliothèques peuvent faire encore plus pour développer leurs offres et services afin de resserrer les liens entre les individus et surtout faire en sorte de leur donner accès à l’information et à la culture. Cela ne peut se faire sans une politique culturelle incitative qui prenne en compte la réalité des territoires et de leurs besoins", estime Alice Bernard, qui appelle à "ouvrir bien" plutôt qu'à simplement "ouvrir plus".
Le dossier chaud du régime des auteurs
Après s’être inquiétée des nombreux emplois de la culture, directs et indirects, menacés par les répercussions du confinement, l’ancienne animatrice télé a assuré qu’elle "ser[a] la ministre des artistes". La formule n’est pas anodine, six mois après la publication du rapport Racine sur la réforme du statut des artistes-auteurs, applaudi par les associations d’auteurs, mais timidement repris par Franck Riester.
"Pour être la ministre des artistes, la première chose à faire, c’est d’appliquer le rapport Racine", estime d’ailleurs Samantha Bailly, présidente de la Ligue des auteurs professionnels. A propos de la nouvelle locataire de la rue de Valois, elle rajoute qu’"étant donné le rôle qu’elle a joué en tant que ministre des Solidarités et de la Santé [sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ndlr], il sera intéressant de connaître sa perspective sur le régime social des artistes-auteurs, qui n’a pas cessé de dysfonctionner, y compris durant le confinement".
Paola Appelius, nouvelle présidente de l’Association des traducteurs littéraires français (ATLF), abonde : "Le confinement a révélé la complexité de l’accès aux droits sociaux pour les auteurs, c’est un sujet qu’il faudra aborder", estime-t-elle. La représentante ne cache pas sa déception à l’idée de devoir recommencer le travail de concertation de ces dernières semaines avec une nouvelle équipe ministérielle. Les négociations entre les associations d'auteurs et leur ministère s'étaient accélérées après la nomination, en mai, d’un conseiller chargé du plan artistes-auteurs. Les débats portaient, notamment, sur la représentation de la profession au sein d'un futur conseil des artistes-auteurs, l'une des seules préconisations du rapport Racine retenues par Franck Riester.
L'ATLF ne demande pas, pour sa part, une application stricto sensu du rapport, que Paola Appelius considère comme un "diagnostic" plutôt qu'un mode d'emploi à l'attention du gouvernement. Mais la présidente de l'association note que le document a mis en lumière "la précarité grandissante" des auteurs. Elle compte ainsi sur les pouvoirs publics pour "corriger le déséquilibre entre auteurs et éditeurs dans la négociation [du contrat]". La présidente de l'ATLF évoque la mise en place d’un système inspiré du contrat de commande qui assurerait un minimum garanti de revenus à l’auteur.
La Société des gens de lettres, satisfaite des négociations avec le précédent gouvernement sur le plan de relance de la filière livre, salue, pour sa part, la nomination de Roselyne Bachelot, une femme "sensible à l’art et à la culture qui dispose d’une grande connaissance du fonctionnement de l’Etat".
Des réformes structurelles
Du côté de la distribution, Guillaume Husson, directeur général du Syndicat de la librairie française, juge la première intervention de la ministre Bachelot "encourageante". "Elle a dit ce qu’il fallait sur le soutien à la filière, qui est évidemment notre priorité dans les mois à venir, c’est-à-dire aider les éditeurs et les libraires indépendants pour qui la crise continue, constate le reponsable. Comme elle l’a elle-même remarqué, le temps est compté et il va falloir aller vite pour prendre en main ces dossiers".
"Nous, nous attendons du ministère qu’il donne suite à nos démarches sur un plan d’urgence pour la filière livre puisque les premières réponses sont insuffisantes", juge en revanche Francis Combes, président de l’association L’autre livre qui représente 185 éditeurs indépendants. "Plus que de l’argent, nous demandons des réformes structurelles qui permettent de contrebalancer la concentration dans l’édition, surtout en cette période de crise, puisque c’est le moment où les gros mangent les plus petits".
Le représentant a transmis, le 7 juillet, ses doléances à la nouvelle ministre Bachelot. Parmi ses propositions : un tarif postal du livre, quasi-unanimement demandé par la profession, un renforcement des aides publiques au livre ou encore une réforme du secteur de la diffusion-distribution, "là où le bât blesse", selon Francis Combes. Les acteurs du livre l’ont bien compris : si le temps est compté, il n’y a pas une minute à perdre.