Commandée par l’Éducation nationale auprès de la maison d’édition des musées nationaux (GrandPalais-RMN Éditions), la version du conte La Belle et la Bête revisitée par le dessinateur Jul aurait dû être distribuée en juin prochain dans l’ensemble des classes de CM2, dans le cadre de l’opération « Un livre pour les vacances ». Mais alors que le tirage, fixé à plus de 800 000 exemplaires, devait être réalisé à la mi-mars, Caroline Pascal, directrice générale de l’enseignement scolaire, a finalement décidé d’annuler la commande.

« Le produit ne permet pas une lecture en autonomie, à domicile, en famille et sans l’accompagnement des professeurs pour des élèves âgés de 10 à 11 ans. Les illustrations de l’ouvrage abordent des thématiques qui conviendraient à des élèves plus âgés », a-t-elle écrit dans une lettre adressée à Jul. Dans celle-ci, la haute-fonctionnaire pointe notamment deux illustrations de l’ouvrage qui, selon elle, « abordent des thématiques qui conviendraient à des élèves plus âgés, en fin de collège ou en début de lycée, telles que l’alcool, les réseaux sociaux ou encore des réalités sociales complexes. »

Une commande annulée par le ministère de l'Éducation nationale

Réalisé à partir de la version contée par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont au XVIII^e siècle, l'ouvrage met en effet en scène, sur un ton humoristique, le père de la Belle, bouteille de vin à la main, entamant la célèbre chanson de Michel Sardou, Les Lacs du Connemera. Un choix visuel qui n’a pas su convaincre le ministère. « Jul a beaucoup de talent, il manie l'ironie, le second degré. Mais sans accompagnement pédagogique, je pense que ça n'est pas adapté », a commenté Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale qui s’est exprimée sur CNews/Europe1.

« C'est une réécriture moderne. On a un père de famille qui arrive d'Algérie, qui doit commettre des fraudes, qui se fait contrôler par les policiers (…). Peut-être que dans un cadre avec des professeurs, on peut expliquer ce second degré. Mais c'est un livre qui a vocation à être lu en vacances, avec sa famille », a poursuivi celle qui aurait dû rédiger la préface de l’album, admettant toutefois que « c’est un très beau livre qui pourra être utilisé dans un autre cadre ».

« La plus grosse affaire de censure jamais advenue dans l’édition en France ! »

De son côté, Jul, de son vrai nom Julien Berjeaut, auteur de la célèbre série Silex and the city (Dargaud), a dénoncé dans Le Monde « la plus grosse affaire de censure jamais advenue dans l’édition en France ! », sous des « prétextes fallacieux ». « La seule explication semble à chercher dans le dégoût de voir représenté un monde de princes et de princesses qui ressemble un peu plus à celui des écoliers d'aujourd'hui », a-t-il affirmé. « Le "grand remplacement" des princesses blondes par des jeunes filles méditerranéennes serait-il la limite à ne pas franchir pour l'administration versaillaise du ministère ? », s'est-il également interrogé.

Pour l’éditeur du livre, le choc est tout aussi rude. D’autant plus que les premières lectures faites en décembre dernier avaient été validées. « On a beaucoup travaillé à ce projet généreux », a déploré Sophie Laporte, directrice de GrandPalais RMN-Editions auprès du Monde, assurant que l’album sera tout de même publié par la maison.