Polémique

Roumanie : une loi mémorielle agite le milieu littéraire

Emil Cioran, comme Mircea Eliade, ont été dans leur jeunesse sympathisants de la Garde de fer, mouvement fasciste roumain de l'entre-deux-guerres - Photo Wikimedia Commons

Roumanie : une loi mémorielle agite le milieu littéraire

Peut-on lire les œuvres d'Emile Cioran ou citer Mircea Eliade sans être accusé de sympathies fascistes ? Une loi mémorielle adoptée par Bucarest suscite un vif débat autour d'un passé avec lequel la Roumanie peine à se réconcilier.

Par Pierre Georges
avec AFP Créé le 10.08.2015 à 18h52

"Je ne veux plus vivre encore une fois sous le fléau de l’interdiction culturelle, sous lequel j'ai grandi pendant le régime communiste", écrit sur son blog l'écrivain roumain Andrei Plesu. Et pour cause, en Roumanie, un texte de loi, voté récemment à une très large majorité par le Parlement, interdit le négationnisme, les organisations et les symboles fascistes, ainsi que le culte de personnes reconnues coupables de génocide ou de crimes contre l'humanité, rapporte l'AFP. Or, nombre d'intellectuels roumains de l'entre-deux-guerres, dont le moraliste Emil Cioran et l'historien des religions Mircea Eliade, ont été dans leur jeunesse des sympathisants de la Garde de fer, le principal mouvement nationaliste roumain de l'époque, responsable de l'extermination de centaines de milliers de juifs pendant la Seconde guerre mondiale.

Plusieurs écrivains roumains se sont ainsi inquiétés du risque de ne plus pouvoir lire ou citer en public les œuvres de ces derniers ou d'autres grands de la littérature roumaine. "Je ne veux pas être considéré comme suspect ni si je lis Jean-Paul Sartre, ni si j'admire le talent de Cioran", écrit Andrei Plesu, tout en soulignant que lire ces auteurs ne revient pas à "adhérer aux options discutables de leur vie publique".

L'éditorialiste Clarice Dinu du quotidien Gandul redoute pour sa part qu'"organiser des débats sur ces thèmes-là ou même évoquer sur Facebook les personnes incriminées par cette loi" seront désormais passibles de peines de prison. Elle évoque en outre des "policiers d'internet" qui veilleront au respect de ce texte.

Pas de censure ?

"La liberté de s'informer et de s'exprimer n'est pas mise en question. Seuls seront interdits les messages à caractère antisémite et raciste, ou encore le culte des criminels de guerre", explique de son côté à l'AFP Alexandru Florian, directeur de l'Institut d'étude de l'Holocauste, à l'origine de ce texte de loi. 

L'historien Adrian Niculescu se félicite pour sa part de l'adoption de cette loi, assurant à l'AFP que "toutes les œuvres citées dans le cadre de ce débat continueront à être publiées mais avec des notes critiques expliquant le contexte dans lequel elles ont été écrites". 

Destinée à corriger les lacunes et imprécisions d'un premier décret remontant à 2002, la nouvelle loi évoque notamment la participation de la Roumanie à l'Holocauste, une sombre page de son histoire que Bucarest n'a reconnue qu'en 2004.

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