2 janvier > Premier roman Suisse

Vera, l’herboriste charitable sans qui toute cette histoire rocambolesque, qu’elle raconte au narrateur dans son cabinet enfumé par ses innombrables clopes, ne serait jamais arrivée, pratique une philosophie simple, mais efficace : « Chacun de nos gestes compte. » Quitte à déclencher, en portant un jour secours à un vieil homme que son fils menace de massacrer, une cascade d’événements en série.

Slobodan Despot- Photo CATHERINE HÉLIE /GALLIMARD

Nous sommes en 1995, dans un coin reculé de la très perdue Krajina, enclave serbe de Croatie revendiquée par les deux camps. Chacun se souvenant des exactions de l’autre, et des sinistres oustachis, collaborateurs zélés des nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Sur une petite route, une voiture est en panne, chargée jusqu’à la gueule de bidons de miel. A l’intérieur, un vieil homme, Nikola, ex-instituteur recyclé en apiculteur misanthrope, et son fils cadet, Vesko, aussi nul qu’agressif. Le second, hors de lui, menaçant de casser la figure du premier pour une histoire d’argent, 300 deutsche Marks, que Vera lui offre. En échange de quoi, elle va avoir droit au récit de leur saga.

Le village de Nikola ayant été attaqué par les Croates, en représailles d’on ne sait trop quoi, Nikola s’est réfugié dans la montagne, où il a vécu en ermite avec ses abeilles, sans donner de nouvelles à ses fils, Dusan, le soldat fanatique, et Vesko. Lequel se voit chargé d’aller récupérer le patriarche. Il y parvient, grâce à un Russe un peu bizarre mais efficace, qui l’aide à circuler dans une région où les frontières ont l’air d’avoir été tracées par un lecteur de Kafka : partant de Belgrade où il vit, Vesko doit passer par la Croatie, la Bosnie, la Slavonie, la Hongrie, pour regagner la Serbie. Au passage, il retrouve Nikola en Krajina, lequel accepte de quitter ses ruches, confiées à un ami, mais non sans emporter avec lui six énormes bidons de son miel, qui seront bien utiles lorsqu’il s’agira de graisser quelques pattes galonnées, ou de faire des cadeaux. A Vera l’herboriste, par exemple, qui en utilise dans sa pharmacopée.

Dans ce « ruche-movie » décalé, raconté avec un humour à froid et une distance salutaire qui renvoient tous les partis dos à dos, Slobodan Despot montre un père impeccable, souverain, qui distribue son miel et sa sagesse, que tout le monde a envie d’aider. Tandis que le fils, avec ses œillères, se révèle parano, inutile, trouillard. Et violent. La fable, cependant, s’achèvera en honey end. Avec ce premier roman nourri de son histoire personnelle (l’auteur, né en 1967, d’origine serbe lui-même, vit en Suisse), Despot fait une entrée farfelue et prometteuse en littérature. J.-C. P.

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