23 avril > Roman Portugal

Une petite famille - mari, femme, plus enfant - se balade un dimanche en ville. Lèche-vitrine pour la femme et ennui pour le mari et l’enfant : le petit s’amuse à shooter dans un caillou, l’homme s’impatiente et voudrait rejoindre un "cousin" dans un bar pour voir le match et par la même occasion discuter d’un job qu’on aurait pour lui. L’épouse, elle, achèterait bien cette valise rouge, la fait rouler, déambule avec, "comme une vraie star". "Elle en devenait même jolie", concède le mari et narrateur de Tout ce qui m’est arrivé après ma mort de Ricardo Adolfo. N’empêche : "Le seul voyage au programme était celui en métro pour rentrer à la maison." Au dit métro, les voilà enfin avec le bagage superfétatoire, mais bientôt éjectés sur le quai à la suite d’une panne. Paumés, pour le coup, au milieu de nulle part. Le chef de famille égaré maudit son oubli : "Jamais plus on ne sortirait de la maison sans notre adresse écrite sur deux papiers différents, un plan avec trois chemins de retour minimum, et le numéro de deux cousins du pays parlant étranger." A-t-on affaire à un couple atteint d’un Alzheimer précoce ? Ou peut-être encore à des touristes particulièrement godiches ? Non, celui qui raconte cette promenade dominicale virant au cauchemar est un immigré sans papiers ne parlant pas un traître mot de la langue pratiquée sur "l’île", ce paradis rêvé transformé en galère. Disputes conjugales exacerbées par la précarité, dialogue de sourds avec les "îliens", espoirs dérisoires lorsqu’on croise un autre métèque compatriote d’infortune. Ricardo Adolfo, né en 1974 à Luanda (Angola), qui a grandi dans la banlieue de Lisbonne et vit actuellement à Tokyo, raconte de l’intérieur cet enfermement de l’étranger littéralement déboussolé, agissant contre son intuition car, faute d’ancrage linguistique et culturel, se dérobent tous les repères. L’ironie cocasse du récit rachète la misère du réel. Un huis clos à ciel ouvert virtuose. S. J. R.

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