La sérotonine est un neurotransmetteur qui dope l’estime de soi. Florent-Claude, dit Florent tout court, a 46 ans, est sans ambition. Il prend des antidépresseurs libérant à foison cette hormone censée le booster. Le médicament a pour effet secondaire de rendre impuissant. Après avoir établi le diagnostic de son couple « en phase terminale », Florent quitte Yuzu, sa petite amie japonaise de vingt ans sa cadette : elle le trompait dans des partouzes avec de jeunes gens et même avec des chiens.
Le narrateur du nouveau roman de Michel Houellebecq, titré Sérotonine, part sans un mot d’explication. L’expert en agroalimentaire tourne le dos à une carrière où il ne s’était jamais investi : « Les filles sont des putes si on veut, on peut le voir de cette manière, mais la vie professionnelle est une pute bien plus considérable, et qui ne vous donne aucun plaisir. » Impuissant désormais, il renonce au sexe, et s’il le pouvait au reste de son anatomie : « J’aurais aimé en réalité ne plus avoir de corps. »
Il radicalise ses théories pessimistes
La suite est une pérégrination existentielle. Le héros revisite les souvenirs, comme Kate, une Danoise qui avait troqué son job d’avocat d’affaires contre une mission humanitaire, le grand amour de sa vie qu’il a trahi. Il revoit pour de vrai parfois d’anciennes flammes, telle Claire l’actrice blonde hitchcockienne, longtemps cantonnée aux rôles d’égérie intello alors qu’elle eût préféré figurer sur l’affiche de nanars, et aujourd’hui employée par Pôle emploi pour enseigner l’art dramatique aux chômeurs. Il se rend dans l’exploitation de son vieux camarade de l’« Agro », « [s]on seul meilleur ami », un aristocrate ruiné, Aymeric d’Harcourt-Olonde, acculé aux plus funestes extrémités à cause de la mondialisation, dont Florent a si longtemps été le suppôt au ministère de l’Agriculture. Le narrateur est lui-même traversé de pulsions meurtrières…
Après Soumission, Houellebecq se fait à nouveau sismographe du contemporain – le désarroi d’Aymeric fait étrangement écho à la crise des « gilets jaunes ». L’auteur signe ici une « Extension du domaine de la chute ». Il radicalise ses théories pessimistes, illustrant à travers ses personnages déchus sa détestation du néolibéralisme, de l’infantilisme consumériste, de l’hypocrite coolitude. Mais Houellebecq veut aussi croire à la bonté et aux dons des larmes. Alors la rédemption possible ? Oui, façon gnostiques, ces hérétiques qui pensaient : dans le corps, point de salut.