A peine adolescent, juste après la guerre, Yoshihiro Tatsumi, né en 1935, a fréquenté le grand Osamu Tezuka - le "Hergé japonais" -, natif de la même ville d'Osaka, qui l'a encouragé. Il a ensuite croisé les figures les plus marquantes du manga en plein essor, tels Masahiko Matsumoto, Takao Saito ou Yoshiharu Tsuge, et travaillé pour les premiers éditeurs d'un genre encore en quête de son identité et de ses codes.
C'est ce qu'il relate, en se mettant en scène sous le pseudonyme d'Hiroshi Katsumi, dans Une vie dans les marges. Cette monumentale fresque autobiographique (800 pages), remarquablement éditée par Cornélius, brosse le portrait d'un jeune mangaka précoce et enthousiaste, au coeur d'une véritable révolution culturelle. Elle vaut plus encore par la peinture de son milieu familial et socioprofessionnel en pleine évolution dans la période de reconstruction puis de boom économique du Japon.
A la fin du premier volume, qui retrace ses années de formation jusqu'au milieu des années 1950, le jeune mangaka était prêt à conquérir le public en affirmant son propre style. "Je compte bien inventer quelque chose de nouveau et faire du manga qui n'en serait pas !" se promettait-il. Le second volume témoigne de cette recherche, chez lui au côté de son frère, également dessinateur, comme à Tokyo où ce passionné de cinéma vit et travaille un temps en groupe, presque asservi, sous l'égide du dessinateur Masami Kuroda, pour la revue Kage et son éditeur, Hinomaru-Bunko. Il tâtonne pour concevoir Tempête de neige noire. Il invente le terme "gekiga" (dessin dramatique en action), qui entrera dans la postérité, pour rompre avec le schéma narratif du manga commercial classique et raconter des histoires plus adultes, approfondissant la psychologie des personnages. Il crée le Gekiga Kobo « atelier gekiga » et la revue Matenro « gratte-ciel ».
Yoshihiro Tatsumi dit ses succès comme ses doutes et ses échecs dans des pages dont il soigne l'expressivité sans recourir à des effets superflus. Les épisodes édifiants, dramatiques ou cocasses se succèdent dans une salutaire sobriété pour faire de la vie du mangaka une fascinante épopée.