C’est un livre qui laisse le lecteur touché et agacé à la fois. Si l’on s’en tient à l’anecdote selon laquelle Daniel Cordier a choisi de raconter une ébauche d’"amitié particulière", dans les années 1930, entre lui-même, pensionnaire chez les dominicains de Saint-Elme à Arcachon, et David Cohen, l’un de ses condisciples, qui ne se concrétisera pas mais demeurera chez l’auteur une obsession, un regret taraudants, on pourrait penser : beaucoup de mots pour peu de chose.
Si l’on s’intéresse à la fin de l’histoire, de 1995 à 1998, on bascule dans la cruauté. Après toutes ces années, Cordier se décide enfin à rencontrer David. Les retrouvailles ont lieu, au Lutetia, et sont pathétiques. Le blondinet bouclé et poupin de sa jeunesse est devenu non seulement un vieillard - tout comme le narrateur, qui semble, lorsqu’il écrit, encore avoir 15 ans ! -, mais un être médiocre, alors que Cordier, lui, ne se montre pas peu fier de son destin exceptionnel. Et se dit fort étonné que son ami ne réponde pas à l’envoi des chapitres de ses Mémoires le concernant, qu’il préfère oublier ses penchants adolescents demeurés en l’état, alors que Cordier a persisté dans ce que son confesseur aurait appelé "vice épouvantable" conduisant droit en enfer.
La meilleure partie de cette mélo-tragédie en cinq actes, c’est le premier, servi par une écriture d’un classicisme limpide. Où Daniel Cordier raconte son éducation tourmentée chez les "bons pères", ses premières expériences "hygiéniques" avec certains de ses camarades - mais pas David, justement, par timidité, peur de la "souillure" et fidélité au serment fait à son confesseur de se racheter -, son premier amour pour Bob, avec qui il échangera un bien chaste baiser. Ses premières lectures d’adulte, aussi, assez "orientées" : Les Thibault de Martin du Gard, L’immoraliste (qu’il trouve trop timoré) et Les nourritures terrestres de Gide, ou Mort à crédit de Céline, dont la crudité le choque et l’enchante à la fois.
Les feux de Saint-Elme est un livre assez daté, presque un document d’époque, où l’on retrouve l’atmosphère des Amitiés particulières de Peyrefitte et la problématique centrale de toute l’œuvre de Mauriac, ce combat que doit mener chaque croyant contre le Diable et ses tentations. C’est ce qui fait son charme. Les jeunes gays d’aujourd’hui sont à mille lieues de tout ça, ils ont d’autres angoisses. Mais, s’ils lisent ce livre, ils en apprécieront, outre la qualité littéraire, la sincérité toute gidienne, y compris celle qui consiste à ne pas se donner le beau rôle. Jean-Claude Perrier