Si l’expression « livre culte » a jamais eu quelque pertinence, ce serait pour des livres comme celui-là. De ces livres dont tout le monde parle et que (presque) personne n’a lus. Depuis qu’en 1959 Jean-Jacques Pauvert a publié une première fois ce recueil de ragots, reportage « embedded » au sein de la Sodome et Gomorrhe du cinéma (réédité depuis de manière confidentielle), le Hollywood Babylone de Kenneth Anger fait office au sein d’une confrérie de cinéphiles happy few de « secret derrière la porte » inégalement partagé. Il faut donc louer les éditions Tristram d’en publier dans leur nouvelle collection « Souple » une version intégrale et probablement (quoi qu’il ne faille jurer de rien avec ce « work in progress » depuis un demi-siècle) définitive. D’ailleurs, la version qui est proposée aujourd’hui aux lecteurs français est bien mieux qu’une réédition, c’est la traduction inédite de la version américaine, publiée outre-Atlantique en 1965 et en 1975.
Cinéaste avant tout, Kenneth Anger est loin d’être un inconnu aux yeux de tous ceux que l’histoire de l’underground fascine. Né voici 86 ans en Californie, il serait à son pays quelque chose comme un cousin radical de feu Gore Vidal. Militant gay de la première heure, découvert en France en 1949 au Festival du film maudit de Biarritz qui consacra son premier court-métrage, Fireworks, il vécut dans notre pays et en Italie, s’attirant l’admiration de Cocteau et d’Henri Langlois, plus tard de Warhol, de Tennessee Williams et des Stones. Son Hollywood Babylone est initialement un travail de commande que lui passa Pauvert à l’heure de sa vie de bohème parisienne. Si le livre eut un tel et durable retentissement, c’est que prétendant dresser un inventaire minutieux des turpitudes de la « cité des rêves », il contribue, à son corps plus ou moins défendant, à en renforcer la fascination qu’elle suscite. Ce rapport de police compilant les partouzes, overdoses, internements psychiatriques et assassinats du ban et de l’arrière-ban hollywoodien (avec une prédilection pour la période du muet), rappelle dans ses meilleurs moments L’incendie de Los Angeles de Nathanaël West. Pour un retour au néant, ce n’est pas rien. O. M.