C'est l'événement biographique de la rentrée. D'abord par sa taille, plus de 1 300 pages. Ensuite par son sujet. Car il fallait bien une enveloppe démesurée pour accueillir le CV d'un personnage hors norme. Andrew Roberts l'a bien compris. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, son Churchill s'est vendu à plus de 260 000 exemplaires. Le succès est mérité. On entre dans l'ouvrage comme dans un immense labyrinthe, mais on ne s'y perd jamais. L'historien sait tenir son récit, classiquement, chronologiquement, avec une idée directrice. Toute sa vie Winston a façonné Churchill. Jusqu'en 1940, avec des erreurs stratégiques durant la Première Guerre mondiale, avec des atermoiements économiques et industriels, il s'est préparé à faire l'histoire et à y entrer. Il a pour cela attendu le moment propice, le déclenchement d'un conflit total par celui qu'il nommait « le caporal Hitler ». Ce dernier a fait Churchill comme Pétain a fait de Gaulle. L'un comme l'autre ne sont pas exempts de failles. « Je n'aurais rien fait si je n'avais pas fait d'erreurs » écrit-il à Clementine, sa femme, la mère de ses cinq enfants et sa plus proche conseillère.
Certes Churchill apprend de ses erreurs, mais il « n'a jamais été un subordonné facile » précise Andrew Roberts. L'expérience est une canne sur laquelle on s'appuie mais qui empêche d'avancer vite. Celle du « Vieux Lion » fut un accessoire dont il se servait aussi pour écarter les importuns. Comme de Gaulle, il aura travaillé à sa légende. Les deux géants, pourtant si différents, se sont compris à Londres par leurs formations classiques, leurs lectures et leur culture, dans l'urgence de protéger leurs pays au prix de quelques accommodements. « Ma conscience est bonne fille. J'arrive toujours à m'arranger avec elle », confie Churchill au général en 1942.
Ce Churchill restera car il est comme son personnage, entier. Il va à l'essentiel, se concentre sur la psychologie et ne s'égare pas dans l'Amazonie documentaire. Il parvient même à trouver quelques clairières, des comptes rendus des réunions du Cabinet de guerre, des extraits inédits du journal du roi Georges VI sur les séances hebdomadaires qu'il avait avec son Premier ministre, et des mémoires non publiés. Cela est certes important, mais ce n'est pas là-dessus que le livre s'imposera. C'est vraiment par sa capacité à embarquer ses lecteurs dans une vie de bruit et de fureurs, une vie de bons mots avec force rasades de whisky à l'eau de Seltz, une vie dont le seul sport consiste à tirer sur des gros cigares, une vie de Falstaff où le tragique tutoie la drôlerie, une vie qui s'oppose à la mort avec la force du visionnaire, une vie qui montre que les grands hommes sont avant tout ceux qui s'affranchissent de leur petitesse. Andrew Roberts le montre avec un talent indéniable dans ce Sir Winston sans filtre qui fut à un moment crucial la chance de l'Angleterre.
Churchill - Traduit de l'anglais par Antoine Capet
Perrin
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 29.90 euros ; 1 360 p.
ISBN: 9782262081195