Le Club du mercredi est un cénacle d’anciens du lycée qui se voient chaque mois pour refaire le monde en buvant des bons vins. Fondé en 1922 par Claes Thune dit Coturne, aujourd’hui avocat qui a pignon sur rue, et Robert Lindemark dit Robi, l’actuel médecin en chef d’un hôpital psychiatrique, le club avait débuté sous les auspices du renouveau pour la Finlande, indépendante depuis peu et à peine remise d’une guerre fratricide opposant les "Blancs", la classe bourgeoise pro-allemande, et les "Rouges", les communistes soutenus par l’Union soviétique. La ville d’Helsinki était entrée dans les Années folles, du moins cette petite élite libérale et d’avant-garde qui pulsait au rythme du jazz. 1922, Coturne venait de se marier avec sa "Gabi chérie". Il occupa plus tard un poste à la légation de Finlande à Stockholm, puis à Moscou, une période durant laquelle les activités du club furent mises en veilleuse. Avec son retour à Helsinki, elles avaient repris. Là il reçoit ses amis dans son cabinet. Manquent à l’appel un ou deux membres, mais Robi est là. On est en mars 1938, on cause d’Hitler et de l’Anschluss. Thune écoute vaguement, il est absent, il pense à Gabi qui l’a quitté pour Robi. Dans la pièce d’à côté, la secrétaire Matilda, alias Mme Wiik. La trentenaire aux ongles vernis accomplit sa tâche avec diligence mais sans joie ; fan de Cary Grant, elle rêve surtout sa vie au cinéma. Parmi ceux qui se rendent chez Me Thune, elle reconnaît une voix, qui lui rappelle les camps d’internement du temps de la répression des communistes dont faisait partie sa famille, la voix du capo surnommé "le Capitaine".
De nouveau, Kjell Westö, écrivain et journaliste finlandais de langue suédoise (la Finlande est un pays officiellement bilingue finnois-suédois mais avec moins de 6 % de svécophones), nous plonge avec Un mirage finlandais dans les turbulences de l’histoire de son pays. Les sept livresde Helsingsfors (Gaïa) tissait une vertigineuse fresque allant de la Première Guerre mondiale à la Seconde. Ici encore, les personnages appartiennent à la communauté des Finlandssvenskar, les "Suédois de Finlande", ces suédophones minoritaires mais longtemps socialement et culturellement dominants (du XIIIe siècle jusqu’en 1809, où elle devint un grand-duché rattaché à l’empire du czar, la Finlande était suédoise). Westö a le souci du réel et du contexte historique mais le réalisme ici est loin d’être un vérisme servile, la précision des détails n’aplanit en rien la vérité des êtres et l’on goûte chez l’auteur du Malheur d’être un Shkrake ce style qui épouse toutes les anfractuosités de l’âme. Et c’est avec grand art qu’il ourdit les destins de l’avocat et de sa secrétaire sur un canevas de solitude et de vengeance.
S. J. R.