22 AOÛT > ROMAN France

Nathalie Rheims- Photo THIERRY RATEAU/LÉO SCHEER

Ce livre n'a pas dû être facile à écrire pour Nathalie Rheims. D'ailleurs, elle a mis dix ans, après que sa mère fut morte, pour s'y risquer. Non point qu'elle ait eu à faire ce qu'on appelle communément son "travail de deuil". Dans son cas, et c'est peut-être le plus terrible de cette histoire, son deuil était déjà fait : du vivant même de cette femme à qui elle reproche, somme toute, sinon de ne l'avoir pas aimée, du moins de l'avoir abandonnée à l'adolescence, juste quand une fille a le plus besoin de sa mère. Puis de l'avoir totalement sacrifiée à la passion délirante, exclusive et destructrice qu'elle a vouée ensuite à son second mari, un "sculpteur conceptuel" pontifiant, imbuvable, intéressé et infidèle, que Nathalie appelle "le vampire".

Abordant pour la première fois le côté maternel de sa famille - une dynastie d'illustres banquiers juifs richissimes jamais nommés mais aisément identifiables -, Nathalie Rheims - ou plutôt sa narratrice - raconte l'enfance très particulière qu'elle a vécue, petite fille solitaire dans l'immense et sinistre château de Gambière, entre un "fantôme", le père aimant mais toujours absent, et un "hologramme", la mère évanescente. Et puis, alors que la jeune fille est en troisième, elle les abandonne, son père et elle. Nathalie ne la reverra qu'épisodiquement, le jeudi, pour des déjeuners formels et sans affection aucune. Elle lui en veut, et déteste son compagnon.

Le reste de la famille, de son côté, observe une réserve prudente et admet les foucades de la "brebis égarée". Never explain, never complain pourrait être sa devise. Respecter les convenances et ne rien dire. C'est ce que la jeune Nathalie a appris aussi. Quitte à faire quelques bêtises, sombrer un temps dans l'anorexie ou l'ésotérisme, se goinfrer de télévision. Ecrire, surtout, très tôt et en secret, la meilleure façon d'exprimer sa rage, de s'affranchir de toutes les conventions. Ce qu'elle a parfaitement réussi.

Avec ce quatorzième roman, qui se situe dans sa veine la meilleure, celle de l'intime, Nathalie Rheims signe sans doute son livre le plus personnel. Dans un style très épuré, presque acéré, elle alterne scènes dramatiques et cocasses. Comme cette "mascarade" de Noël à quoi la famille, toute juive soit-elle, se livre chaque année. La narratrice, elle, s'en moque. D'autant que, dans son coeur, elle s'est déjà convertie, touchée par la grâce du Christ. "Celle qui se tait" prendra enfin la parole, et ne la lâchera plus, durant toutes ces années, construisant une oeuvre singulière où cette évocation, à la fois d'une "mère inconnue" et d'un monde disparu, prend tout son sens.

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