Et si la notoriété de Lolita Pille reposait sur un malentendu ? La faute à Hell, ce premier roman paru chez Grasset en 2002, qui l'a poursuivie durant des années. A même pas 20 ans, la voilà best-seller : 170 000 exemplaires vendus, rappelle son éditeur de toujours, Manuel Carcassonne. « Toutes éditions confondues », précise l'auteure, pince-sans-rire. Plus une douzaine de traductions, et une adaptation au cinéma, par Bruno Chiche, sortie en 2006, mais où elle « ne se reconnaît pas ». Tout en ajoutant : « Ce n'est pas ce film en particulier que je n'aime pas, mais tout le cinéma français en général. »
« Nouvelle Sagan »
Derrière ses apparences encore d'adolescente, Lolita a un sacré caractère, ne serait-ce que pour avoir résisté au torrent de boue qui a déferlé sur elle après la parution de son livre. « On a confondu l'auteure et ses personnages, estime son éditeur. On l'a crucifiée en place publique. » Sous prétexte qu'elle décrivait le style de vie de jeunes fêtards des beaux quartiers, que son manuscrit était arrivé chez Grasset via Frédéric Beigbeder - qu'elle ne connaissait pas, dont elle n'avait jamais rien lu, et dont elle avait « trouvé l'adresse par hasard », dit-elle -, une certaine presse l'a vampirisée, calomniée, et les « réseaux sociaux » naissants ont été inondés de messages fielleux à son sujet. Elle a été, malgré elle, une des premières victimes des fake news. Le pire, à ses yeux : « On a dit que je n'avais pas écrit mon livre, que le vrai auteur c'était Beigbeder, que mon nom n'était pas mon nom... »
Tout cela est très violent, on s'en doute, et lui « a gâché [son] succès ». Alors, elle s'étourdit dans une fête triste, claque son argent sans s'amuser, et enchaîne deux autres romans, Bubble gum (2004) et Crépuscule ville (2008), sur lesquels elle préfère ne pas s'attarder. Ils ont marché nettement moins bien que Hell.
Pour quelqu'un qui voulait « écrire de la grande littérature », comme celle qu'elle lit - et de citer pêle-mêle Dante, Heidegger, Freud, Proust, Faulkner, et, parmi les rares contemporains qui trouvent grâce à ses yeux, Annie Ernaux ou Georges-Olivier Châteaureynaud -, être « Chateaubriand ou rien », si l'on veut, la pilule était plus qu'amère.
Alors, Lolita s'éclipse, Pille s'efface, et suit à Brest sa famille qui y déménage. Son père, architecte, est originaire de la région. Pendant cinq ans, furieusement, elle écrit cinq livres, qui attendent de voir la lumière un jour. En 2016, elle commence Elena et les joueuses, amorce du cycle romanesque qu'elle a en tête. Roman générationnel, bien sûr, à nouveau, mais pas avec les mêmes. On est le 29 août 2014, à Paris, cette ville retrouvée qui joue ici un rôle central. Les héros s'appellent Elena, son petit ami Ismaël, et surtout Catherine, la sœur du garçon, qui est un peu la boussole de toutes ces histoires. Catherine, avec sa part de secrets, d'ombre, de drames.
Dans son écriture, Lolita a tenté « de réconcilier la langue classique et le parler de maintenant », avec quelques anglicismes, et surtout beaucoup de dialogues. « J'aimerais que Proust trouve que c'est bien dit », plaisante (à moitié) l'auteure, plus détendue qu'au début de notre rencontre. Quand elle revient une dernière fois sur ses mésaventures à la suite de Hell, elle estime avoir fait front vaillamment, « comme un footballeur », « un mélange de Sagan et de Pogba ».
La page est maintenant tournée. La « nouvelle Sagan » a vieilli, mais elle a la niaque d'une championne.
Elena et les joueuses
Stock
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 19 euros
ISBN: 9782234087552
En dates
1982
Naissance à Sèvres.
2000
Ecrit « Hell » dans un café en face de son lycée, porte Molitor.
2002
Parution de « Hell », son premier roman.
2006
« Hell » adapté au cinéma.
2011
Voyage à Haïti, qui l'a marquée.
2013
Quitte Paris pour Brest d'où sa famille est originaire.