Poil à gratter. Un écrivain est-il encore libre de donner voix à des personnages qui ne lui ressemblent pas ? En 2016 au Brisbane Writers Festival, Lionel Shriver s'élevait contre l'accusation d'« appropriation culturelle » à laquelle la littérature se trouvait, il y a neuf ans déjà, exposée. Son discours intitulé « Fiction et politique identitaire » est l'un des trente-cinq textes rassemblés dans ce recueil où la romancière, également la journaliste (« activité parallèle [ayant] nui à [sa] réputation d'auteure de fiction »), partage sans détour ni affèterie son point de vue sur quelques concepts en « -isme » (wokisme, body positivisme, etc.) à l'aune de son parcours en tant que fille de pasteur presbytérien, sœur d'un homme décédé d'obésité morbide, Américaine exilée au Royaume-Uni ayant publiquement soutenu le Brexit. Si lire ses romans Il faut qu'on parle de Kevin et Big Brother (Belfond, 2006 et 2014) ou les nouvelles de Propriétés privées (Belfond, 2020) revient à explorer les parts les plus sombres de notre personnalité « où se nichent la méchanceté, la jalousie, la malveillance et l'égoïsme », découvrir ces essais expose à ne pas se voir conforter dans ses idées - expérience de plus en plus souvent associée à l'insupportable farce du poil à gratter. Que l'on soit d'accord ou non avec Lionel Shriver sur des sujets aussi divers que l'immigration, le déboulonnage des statues, le confinement ou la pratique du vélo en milieu urbain, on admire l'adresse avec laquelle cette accro à l'exercice physique réalise certains tacles et rappelle que son métier est « irrespectueux par essence - indiscret, voyeuriste, kleptomane et présomptueux. Voilà l'écriture de fiction dans toute sa splendeur ».
Abominations
Belfond
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Catherine Gibert
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 22,90 € ; 352 p.
ISBN: 9782714403490