Paris est une ville littéraire. La formule n’a sans doute jamais été aussi vraie qu’à l’époque romantique. Sylvain Ledda nous le démontre avec beaucoup de conviction et un vrai bonheur de plume dans cet essai qui, sans l’ombre d’une nostalgie, nous immerge dans une capitale de mots, de gestes et de postures.
« Paris offre un décor romantique, parce qu’il mélange les styles, parce qu’il fait se coudoyer le sublime et les grotesques, parce que l’ancien et le moderne, mis côte à côte, rendent visible l’antagonisme des époques. »
De la bataille d’Hernani (1830) à la parution des Fleurs du mal (1857), ce spécialiste de Musset, professeur de littérature française à l’université de Nantes, nous fait voir Paris dans ses bavardages, ses commérages et sa misère aussi. La ville avec ses douze arrondissements d’avant 1859 est encore malfamée et les loyers sont déjà hors de prix. C’est dans ce monde de petits métiers, de grisettes et de godelureaux que les dandys rêvent de révolutions littéraires et politiques.
Tandis que Liszt et Chopin font pleurer leurs claviers et que Berlioz fait résonner sa passion amoureuse dans les cuivres et les cymbales, de jeunes gens écrivent comme si leur vie en dépendait, parce que c’était le cas. « Conquérir Paris devient le mot d’ordre de tous les rebelles des lettres, de tous les poètes ambitieux et de tous les Machiavel de province. »
Chacun a sa méthode. Musset le dilettante traîne dans les cafés, boit son cocktail rhum, absinthe, bière et se désespère d’être « venu trop tard dans un monde trop vieux ». Hugo fabrique des légendes à tour de bras, Nerval déambule avec sa folle mélancolie, Sue explore les bas-fonds, Dumas construit sa célébrité, Balzac observe et parle de cette « école du désenchantement » qui a plus de professeurs que d’élèves.
De cette bohème surgissent les barricades romantiques - « sous les pavés, la page ! » écrit Sylvain Ledda - et les flâneries à la mode. Sur le boulevard du crime, on croise Vidocq, le chef de la police, qui est aussi actionnaire du théâtre de la Porte-Saint-Martin, Lacenaire avec ses mémoires qui ne flanchent pas, ou monsieur de Paris, alias Henri-Clément Sanson, le bourreau. Les romantiques occupent le terrain des arts et des idées. Ils font tourner les tables, les têtes et le commerce ! On les assimile même à la terrible épidémie de choléra qui ravage la capitale en 1832 en les qualifiant de « cholériques ».
Sylvain Ledda nous propose une belle promenade historique et littéraire dans un Paris dont on considérait déjà que le meilleur avait disparu et qui allait devenir moderne avec le sentiment baudelairien que l’ordure subsiste sous la dorure. « La forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel. » Laurent Lemire