Avant de signer entre 2008 et 2012, avec Christian Perrissin au scénario, les trois tomes d’un chef-d’œuvre, Martha Jane Cannary, la vie aventureuse de celle que l’on nommait Calamity Jane (Futuropolis), Matthieu Blanchin a été victime en 2002 d’un accident cérébral provoqué par une tumeur. Coma, trépanation… D’abord entre la vie et la mort, il reste pendant des mois dans un état second, ballotté entre le système hospitalier et sa famille. Et à peine a-t-il le temps de se remettre qu’une nouvelle intervention s’impose en 2006, pour une seconde tumeur.
C’est ce cauchemar étalé sur des années, plusieurs fois réactivé après de brefs répits, que le dessinateur s’est finalement décidé, sur les conseils d’un de ses médecins, à retracer dans un livre inclassable. Matthieu Blanchin ne nous épargne ni ses symptômes, ni les étapes de son traitement. Mais surtout, avec un sens certain de l’autodérision qui laisse le lecteur perpétuellement hésitant entre la stupeur, la compassion, l’amusement et même, non sans culpabilité, la rigolade, il transforme son parcours du combattant en une expérience totale, physique, psychique, mystique. Souvent groggy sinon complètement immobilisé, perfusé, intubé, le dessinateur vit des expériences si riches qu’il peut avoir le sentiment, au sortir de trois semaines de coma, d’avoir emmagasiné des souvenirs équivalant "à trois ou quatre années de tribulations diverses". Et le voilà racontant, dans un grand entrechoquement d’angoisses, comment il s’est efforcé de secourir sa fille Jeanne, victime de la fameuse prise d’otages survenue dans une école de Neuilly, où comment il a fait irruption dans un camp d’Indiens algonquins au terme d’un parcours chaotique dans la montagne canadienne, entre autres choses. Le voilà aussi entamant un travail psychanalytique sur lui-même, remettant les pendules à l’heure avec ses parents, et singulièrement sa mère. Une des conditions de sa renaissance. Fabrice Piault