En ce temps-là, être jeune était toute une affaire. L’époque était plutôt aux choses finissantes. La Quatrième République, l’Algérie française, "les clochers, les maisons sages", les curés en soutane. Les mariages aussi, de plus en plus souvent, jusque dans les beaux quartiers. Celui des parents de Frédéric Mitterrand prendra fin sans drame, dans la douceur ouatée du 16e arrondissement, sans que la face du monde en paraisse durablement changée. Ces choses-là arrivent, mais ce qui se fait attendre, en revanche, ce sont les orages plus ou moins désirés, les révolutions que l’on porte en soi plus tout de même que celle du prolétariat, un air de liberté pour flotter sur cette douce morosité.
Une adolescence, le nouveau récit de Frédéric Mitterrand, c’est cela, cette attente sans vrai objet, cette confirmation après Barthes qu’"il n’est pays que de l’enfance". François Augiéras avait écrit Une adolescence au temps du Maréchal (La Différence, 2001), l’ancien ministre de la Culture lui répond au titre de celui du Général. Le livre s’ouvre par le retour de de Gaulle en 1958 et s’achève (si l’on omet un très bel épilogue contemporain de visite de La Boisserie à Colombey), onze ans plus tard, par son dernier discours la veille du référendum qui précipitera son départ. Entre-temps, une jeunesse sera passée, donc. L’oncle François aura percé sous le grand Charles. Le petit Frédéric aura éprouvé la permanence des choses tant du côté de l’avenue Victor-Hugo que dans la propriété familiale d’Evian ou en villégiature au Chili, à Rome, à Sciences po, partout où les garçons trop bien élevés se donnent l’illusion de leur liberté. Gamin naïf et sentimental, faussement candide, Frédéric admire en secret le Général, souffre, perd un ami, tombe amoureux, se dissipe un peu mais revient toujours à "l’écurie familiale". Il est vrai qu’il y a mieux qu’un rang à tenir, un oncle à accompagner, même de loin, sur les chemins de son destin.
De Gaulle, Mitterrand, l’un du côté de la France, l’autre des Français, sont les "MacGuffin" de ce livre. Ce récit d’apprentissage est sans doute le moins douloureux de ceux de Frédéric Mitterrand. C’est un "Memory lane" en même temps qu’un requiem pour les heureux de ce monde-là insuffisamment préparés à la violence des temps à venir. La douceur des siens est peut-être mauvaise conseillère mais, au moins, cela fabrique de merveilleux souvenirs. Olivier Mony