Au commencement était le Verbe, bien sûr. La poésie, la musique, la philosophie, trois disciplines sœurs qui "donnent un sens à ce qu’on pressent, formulé dans un langage non prosaïque". Quelqu’un dont l’un des trois livres préférés est La nuit remue de Michaux ne saurait être fondamentalement mauvais. Les autres sont Moby Dick de Melville et L’éducation sentimentale de Flaubert. Et il avoue aussi une passion pour Gide.
De ses ancêtres russes, Stéphane Barsacq, né à Moscou en 1972 et qui n’a appris le français que lorsqu’il est arrivé en France, à l’âge de 3 ans, a hérité, entre autres choses, le goût de la démesure et du romantisme. "Je suis profondément givré, dit-il, je l’assume et le roman le permet." Le voilà qui signe un premier roman "d’initiation" peu banal, Le piano dans l’éducation des jeunes filles, où il a mis beaucoup de lui-même et se retrouve dans tous les personnages, dont Volodia, le héros et narrateur, décidé, avec ses amis, à combattre pour l’individu contre la masse. Un texte écrit sans se soucier le moins du monde s’il serait publié, y compris chez Albin Michel, l’éditeur pour qui Stéphane Barsacq travaille aujourd’hui, et où il n’a bénéficié, assure-t-il, "d’aucun passe-droit". "Vous imaginez Richard Ducousset favoriser quelqu’un ?" demande-t-il. Son roman lui "échappe totalement". Il en a déjà trois autres en projet, dont un en chantier.
Cette boulimie d’écriture, cette volonté de rattraper le temps (romanesque) perdu proviennent sans doute du fait qu’il y a une douzaine d’années Stéphane Barsacq a failli mourir d’une méningite. Il était alors grand reporter au Figaro magazine depuis 1996, menait une vie riche et passionnante, libre et amusante. Mais le voilà contraint d’arrêter. Alors, pas question de retourner à l’université, où ses études d’histoire, sous la houlette de Marc Fumaroli, auraient pu le conduire. Il opte pour l’édition, situation plus assise en apparence.
"Tout terrain"
D’abord éditeur chez Tallandier, il devient en 2002 directeur littéraire chez Robert Laffont, membre du comité éditorial de la collection "Bouquins". Se définissant comme "tout-terrain", il applique ses goûts et son savoir-faire dans trois domaines : "publier des textes classiques, faire des "coups" et mettre en avant de jeunes auteurs". Exemples : André Suarès, grand fou littéraire dont deux volumes d’essais sont parus en 2002 chez "Bouquins" ; Françoise Hardy, qu’il a aidée à accoucher de son Désespoir des singes, énorme best-seller ; ou David Camus, dont il a publié en 2005 Les chevaliers du royaume, premier volume d’une saga d’heroic fantasy à la française. C’est donc un éditeur à succès et en pleine possession de ses moyens qui a rejoint Albin Michel en 2009. Récemment, l’essai sur Azincourt de Valérie Toureille ou la correspondance inédite entre Stefan Zweig et Romain Rolland, c’est lui. Et il cornaque quelques romanciers français à paraître à la rentrée littéraire de septembre.
On ne sait trop comment il trouve encore le temps de rédiger des essais pour des revues, et d’être commissaire d’une exposition coproduite par la BNF et l’Opéra de Paris sur Léon Bakst, un peintre et décorateur russe, qui a travaillé pour Diaghilev. Le propre grand-père de Stéphane, André Barsacq, était aussi à moitié russe, décorateur et homme de théâtre. Il a notamment mis en scène la Perséphone de Gide, en 1934, musique de Stravinsky. Le hasard n’existe pas.
Jean-Claude Perrier
Stéphane Barsacq, Le piano dans l’éducation des jeunes filles, Albin Michel, Prix : 18 Euros, 250 p., sortie le 7 janvier, ISBN : 978-2-226-32274-6