23 octobre > Littérature Grande-Bretagne

Pour une fois, voici un genre littéraire dont la critique a pu dater la naissance : le récit "gothique" serait apparu en 1764 avec Le château d’Otrante, roman qui se mit à incarner la sensibilité de son temps, de plus en plus détachée de la philosophie des Lumières et portée vers la "poésie des cimetières", le mystère et les ténèbres symbolisés par un Moyen Age largement fantasmé, l’exotisme - la plupart des histoires se déroulent en Italie, pays où chaque jeune gentleman se devait d’accomplir son Grand Tour, ou en Orient -, le celticisme remis à la mode par le pseudo-Ossian, les racines germaniques de l’Angleterre, une espèce d’angoisse mystique et de violence dont le théâtre de Shakespeare, pas si éloigné, fut le précurseur. Sanglant, transgressif, ténébreux, le roman gothique fuit le quotidien pour les sommets du sublime, or "le sublime est fondé sur la peur", note Alain Morvan, maître d’œuvre de cette édition et retraducteur de trois des cinq romans qu’elle réunit, chronologiquement.

Le château d’Otrante, donc, d’Horace Walpole (1764), Le moine de M. G. Lewis (1796), L’Italien ou Le confessionnal des pénitents noirs d’Ann Radcliffe (1797) et Frankenstein ou le Prométhée moderne, star des stars née de l’imagination de la jeune Mary Shelley en 1818. A quoi l’on a ajouté l’étonnant Vathek de William Beckford : non seulement l’intrigue du conte oriental repose largement sur des pulsions sexuelles assez inouïes à l’époque, mais le texte a d’abord été écrit et publié en français, dès 1786, avant d’être traduit en anglais par un pasteur, ami de l’écrivain ! La "Pléiade" étant partie de sa troisième édition française, il n’y a pas eu besoin de retraduire ce Vathek, qui constitue sans doute, pour le lecteur non spécialiste, la révélation de cette édition.

Le roman gothique, avec son folklore de fantômes, de squelettes hantant des châteaux en ruine par les nuits de pleine lune tandis que les vampires sucent le sang d’innocentes créatures - qui prête aujourd’hui plus à sourire qu’il ne fait peur, largement dépassé par le cinéma -, a servi de matrice au fantastique, puis au roman policier, au thriller. Il a aussi influencé des écrivains plus "classiques" : Dickens, les Brontë ou Oscar Wilde, en Angleterre, les Français Balzac (celui d’Histoire des Treize) ou Maupassant. Alain Morvan, dans ses commentaires éclairants, aurait pu ajouter le jeune Hugo, celui de Bug-Jargal et de Han d’Islande, furieusement gothiques. J.-C. P.

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