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Suzanne Pagé, Christopher Rothko, "Rothko : fondation Louis Vuitton" (Citadelles & Mazenod)

Suzanne Pagé, Christopher Rothko, "Rothko : fondation Louis Vuitton" (Citadelles & Mazenod)

Éclairant catalogue de l'exposition Rothko à la Fondation Vuitton, dirigé par Suzanne Pagé, sa directrice artistique, et Christopher Rothko, fils du peintre américain.

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Par Sean Rose
Créé le 24.10.2023 à 14h00

Rothko révélé. Rothko est l'une des figures majeures de l'art américain d'après-guerre. Ses toiles aux grandes surfaces chromatiques, rectangulaires, se déclinant dans des teintes rouges, brunes, grises... sont emblématiques de l'abstraction états-unienne qui a dominé l'avant-garde new-yorkaise dès les années 1940. Proche des expressionnistes abstraits et assimilé aux peintres du mouvement Color Field, Mark Rothko (1903-1970) ne se revendiquait pourtant d'aucune école. Et même, cette abstraction radicale, dont l'auteur des « multiforms » ou des « Seagram murals » est l'insigne héraut, n'est pas chez lui la tabula rasa qu'on aurait voulu nous faire croire. Ainsi le rappelle son fils Christopher Rothko, co-commissaire avec Suzanne Pagé de l'exposition monographique que lui consacre la Fondation Louis Vuitton à Neuilly-sur-Seine.

Dans son éclairant essai « Not nothing », celui qui a également dirigé le catalogue avec la directrice artistique de la Fondation susmentionnée dissipe certains malentendus à propos de l'œuvre paternelle. Certes, il n'est pas faux de parler de spiritualité à propos des tableaux de l'artiste américain d'origine juive russe. Né Marcus Rotkovitch à Dvinsk, dans l'empire de Russie (aujourd'hui Daugavpils en Lettonie), Rothko est tout aussi bien imbu de mystique juive que de philosophie occidentale. Mais il ne s'agit pas tant de prétendre créer ex nihilo que de s'inspirer de la modernité européenne comme de la culture du Vieux Continent pour forger un nouvel art américain, qui rompe avec le provincialisme d'outre-Atlantique : « Mon père ne voyait pas la nécessité de détruire, ni celle d'effacer l'histoire de l'art (comme la génération s'était décidée à le faire dix ans plus tard). Il s'est débarrassé de bien des aspects superficiels, mais sans effacer l'ardoise. » De même, voir dans ses compositions de rectangles monochromes quelque esthétique zen ou une manière de mandala destiné à méditer sur le vide cosmique serait une erreur d'interprétation. Tout chez Rothko n'est que drame, tension tragique traduisant toutes les interrogations de l'existence humaine et non pas leur suspension. Le calme est un faux calme et le sombre n'y est que lumière, dût-elle s'être rétractée. À un confrère peintre, Rothko dit de ses tableaux : « Soit leurs surfaces sont dégagées et poussent vers l'extérieur dans toutes les directions, soit leurs surfaces se contractent et se précipitent vers l'intérieur. Entre ces deux pôles vous trouverez tout ce que je veux dire. »

Suzanne Pagé
Rothko : fondation Louis Vuitton
Citadelles & Mazenod
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 45 € ; 290 p.
ISBN: 9782850889295

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