Avant-critique Roman

Thibaud Gaudry, "La Vénus au parapluie" (Buchet-Chastel)

Portrait de Thibaud Gaudry realise a Paris le 09/05/2023 - Photo ©Philippe Matsas/Buchet Chastel

Thibaud Gaudry, "La Vénus au parapluie" (Buchet-Chastel)

Une belle inconnue fait la queue pour voir le même film que le narrateur... Thibaud Gaudry s'imagine en alter ego qui conçoit l'amour à contre-courant des applis de rencontre.

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Par Sean Rose
Créé le 04.07.2023 à 09h00

À chacun son cinéma. On voit bien à quoi pourrait ressembler un homme déconstruit. Si les traits demeurent flous, on dira : le contraire du mâle alpha en charge du barbecue comme au temps de la guerre du feu, ou aux commandes de la voiture dont il cède à sa femme le volant pour mieux l'engueuler sur sa conduite... Mais que serait un romantique déconstruit ? Un oxymore. Vu que le romantisme, cette vision particulière de l'amour, n'est que construction. C'est lesté d'un bagage littéraire, iconographique, cinématographique que le jeune homme s'éprend éperdument - l'épithète n'est pas relative à l'âge, puisqu'on est toujours jeune quand on tombe amoureux. Roméo et Juliette de Shakespeare et ses avatars filmés, Autant en emporte le vent avec Scarlett et Brett, Le baiser de l'Hôtel de Ville de Robert Doisneau... Mille images, mille scènes tournent dans la tête de la victime de Cupidon. Le narrateur du premier roman de Thibaud Gaudry, La Vénus au parapluie, aficionado des salles obscures du Quartier latin, attend dans la file pour voir un film. Il pleut, une belle inconnue qui est dans la queue, devant lui, a un parapluie... Si la « succession des hasards anodins » s'appelle destin, c'est a posteriori. Le coup de foudre vous tombe dessus, c'est le contraire de l'application où on a rentré ses données afin d'optimiser ses chances de rencontre, le romantique à l'ancienne n'a pas d'arrière-pensées. Ici, le cinéphile surpris par l'averse foule le bitume d'un pas pressé vers sa séance. D'ailleurs, si on savait que « le plus divin des accidents » se produirait, on prendrait peur. « [...] Lui avançait inconscient de tout cela, de cette somptueuse mécanique invisible, alors qu'en ralentissant ou en hâtant le pas, jamais il n'aurait été derrière. Elle. La fille au parapluie qui se retournait vers lui et lui proposait l'asile. » Ils se revoient, lui découvre qu'elle est très différente - « n'aim[e] ni Van Gogh, ni la bossa nova, ni le saint-nectaire », pas plus que changer les sacs d'aspirateur. La Vénus au parapluie danse avec lui « un tango balbutiant. Quand il avançait, elle reculait ». Ou pour filer la métaphore tennistique, « il montait au filet, elle le lobait subtilement, il servait à toute allure, elle lui remettait invariablement dans les pieds. C'était Vénus version Williams ». Ce n'est pas que les histoires d'amour se terminent mal en général, on se demande parfois si certaines ont jamais commencé. Pour un romantique, nul besoin que l'autre fasse son profil, il l'a déjà dans la tête et n'attend que de le croiser in real life pour la cristallisation.

Thibaud Gaudry

Buchet-Chastel
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 18,50 € ; 176 p.
ISBN: 9782283037898

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