Certains sports appellent la littérature plus que d’autres. La boxe plus que le sport automobile, le rugby ou l’athlétisme plus que le tennis et surtout, le cyclisme plus que tout autre. Il entre là-dedans une part d’épopée à la portée de tous, de mythe modeste et, peut-être plus encore, d’enfance préservée. Le Tour de France cycliste s’apprête à connaître cet été sa centième édition. L’occasion était donc belle pour Benoît Heimermann, qui est en matière de littérature et de journalisme sportifs quelque chose comme un « maître étalon », de composer l’anthologie la plus complète possible des rapports fructueux, complexes et contradictoires qui unissent sur fond de célébration de la Grande Boucle la plume et le vélo. Ils sont soixante-quatre à se présenter sur la ligne de départ. Parmi eux, les vedettes du peloton : Antoine Blondin, éternel maillot jaune « envapé » autant qu’échappé, ou Albert Londres qui, avec ses « forçats de la route », est sans doute le premier à écrire la légende. Au-delà de ces cracks, pas de porteurs d’eau dans ce peloton, mais souvent des plumes que l’on ignorait pouvoir trouver en pareille compagnie. Qui savait combien le Tour évoquait de souvenirs pour Colette ou Annie Ernaux ? Qui connaissait les textes, poèmes et chansons que lui consacrèrent Trenet, Aragon ou Queneau ? Qui se souvenait des pages admirables de Julian Barnes sur le martyr de son compatriote Tom Simpson ou de celles des biographes du roman national qu’était Serge Daney et que demeure Régis Debray ? Un regret (ou plutôt une constatation) au terme de cette étape littéraire, l’absence de grands textes sur le rêve d’enfance fracassé que vit le vélo depuis vingt ans à l’ombre noire du dopage. Une exception magnifique à cette règle de silence et de deuil, Roland Barthes qui, dès 1955, dans ses Mythologies, écrit : « doper le coureur est aussi criminel, aussi sacrilège que de vouloir imiter Dieu : c’est voler à Dieu le privilège de l’étincelle »…
Olivier Mony
