D’un strict point de vue calendaire, le centenaire de la Première Guerre mondiale a beau ne démarrer qu’au mois d’août prochain, il y a longtemps que les éditeurs ont ouvert des hostilités qui devraient perdurer jusqu’en 2018, et investi les librairies avec un déluge de nouveaux titres. Plus de 200 sont déjà parus depuis septembre ou sont annoncés d’ici mars (voir la bibliographie p. 74). Or, si certains ouvrages tirent leur épingle du jeu, l’effet de mode se concrétise difficilement en termes de ventes. "Les commémorations marchent de moins en moins et, pour la Première Guerre mondiale, les gens ont déjà un sentiment d’overdose", observe Cédric Neuser, responsable des rayons sciences humaines-histoire chez Maupetit, à Marseille. "Peu de livres se sont encore vendus pour le centenaire, confirme Anthony Boyer, à la librairie Saint-Pierre (Senlis). Le succès du dernier Goncourt, qui traite le sujet, a sans doute vampirisé une part de l’activité."
Les éditeurs ont pourtant multiplié les initiatives et les angles d’attaque. Aux classiques synthèses de Fayard (La Première Guerre mondiale en 2 tomes de Jay Winter), de Perrin (La Grande Guerre et Encyclopédie de la Grande Guerre, également en 2 tomes), d’Armand Colin (l’édition en poche de L’année 14) ou de Belin (La France en guerre, extrait d’un volume de la collection "Histoire de France"), sont venus s’ajouter quantité d’ouvrages abordant 14-18 sous un aspect particulier. Fayard consacre des titres aux vitraux dans la Grande Guerre, mais aussi à l’Amérique latine ou aux religions. Le Seuil se penche sur les rapports de classe entre soldats dans Tous unis dans la tranchée ? et proposera en juin une chronique culturelle de l’avant-guerre : Les derniers feux de la Belle Epoque de Michel Winock.
Avec C’étaient les poilus ! (Ixelles), Pierre Stéphany raconte la guerre des sans-grade. Alma propose une histoire de la folie dans le conflit avec Du front à l’asile. Payot publie une édition mise à jour des Femmes au temps de la guerre 14, tandis que Vendémiaire a opté pour Comment meurent les civilisations de Jean-Jacques Becker. Dans sa célèbre collection "Les journées qui ont fait la France", Gallimard a publié Verdun de Pierre Jankowski et prévoit Août 1914 de Bruno Cabanes pour l’été prochain. Perrin retrace la carrière du maréchal Joffre dans une biographie de Rémy Porte. Belin s’intéresse aux Permissionnaires dans la Grande Guerre. Armand Colin prépare une biographie de Charles Péguy. Pygmalion s’appuie sur 1914, enquête sur une guerre programmée et sur le Dictionnaire de la Grande Guerre. Les Puf, qui n’ont "pas voulu multiplier les publications ", selon leur présidente Monique Labrune, se contentent des 100 mots de la Grande Guerre en "Que sais-je ?".
Tallandier déploie sans doute l’offre la plus protéiforme, avec une biographie de Foch chef de guerre par l’Australienne Elizabeth Greenhalgh, le premier tome des Mémoires de la Grande Guerre de Winston Churchill, ou encore un titre consacré à la Bataille de la Marne dans la collection "L’histoire en batailles". L’éditeur spécialisé a également lancé La mort du lieutenant Péguy et Journal de guerre d’un Juif patriote, et décrypte la disparition de l’Empire austro-hongrois dans Agonie d’une monarchie. "Etant donné l’abondance de la production sur le centenaire, il y aura sans doute peu d’élus, reconnaît Xavier de Bartillat, le P-DG de Tallandier. Mais ce n’est pas un problème pour nous : en tant qu’éditeur d’histoire, nous nous inscrivons dans la durée." Pour se distinguer, Tallandier compte aussi sur La Première Guerre de Charles de Gaulle, un inédit réalisé grâce aux correspondances des quatre frères de Gaulle. Dans la même veine, c’est la jeunesse d’une autre figure de la Seconde Guerre mondiale qui a inspiré le Rocher avec 1914-1918 : la Grande Guerre du général Giraud.
Faire preuve d’imagination.
Parmi les ouvrages qui parviennent à percer en librairie figure Les somnambules : été 1914, comment l’Europe a marché vers la guerre de Christopher Clark (Flammarion). "Nous avons dépassé les 10 000 ventes, c’est une bonne surprise étant donné que l’auteur est inconnu en France", se réjouit Sophie Berlin, directrice éditoriale. La librairie Maupetit signale également les bonnes performances de Quelle histoire : un récit de filiation de Stéphane Audoin-Rouzeau (Seuil-Gallimard) et du livre illustré Ce que j’ai vu de la Grande Guerre (La Découverte). Côté beaux livres, le Seuil a atteint les 10 000 ventes avec La Grande Guerre expliquée en images. "Notre programmation sur le centenaire a trouvé sa place ", se félicite Séverine Nikel, éditrice de la maison.Pour sortir du lot, les éditeurs cherchent à faire preuve d’imagination. Les Arènes ont publié Les poilus. Perrin a noué un partenariat avec la Défense pour réaliser La Grande Guerre vue du ciel. Tallandier propose La bataille de la Marne par le président de l’UMP, Jean-François Copé. Gallimard lance 1914-1918, la violence de guerre. Larousse réédite Ma Grande Guerre : récits et dessins par le soldat Gaston Lavy. First propose La Première Guerre mondiale illustrée pour les nuls et Gründ aligne deux beaux livres, dont un Baïonnette aux crayons consacré aux caricatures et à la propagande pendant le conflit. Cette dernière thématique séduit d’ailleurs très largement les éditeurs. Ils mettent en vente Images de propagande (Hugo Desinge), La guerre des affiches (Atlas) ou encore Le rire des tranchées (Balland), illustrant à la fois l’abondance et la diversité de la production.