“Dans le roman, il n’y a pas que le divertissement. Ce qui est intéressant et ce qui m’intéresse en tant que chercheur en science sociales, c’est que le roman aide l’individu à se construire. C’est ce besoin de travail identitaire qui prend forme à travers le phénomène de lecture de romans en particulier. Alors que nous sommes entrés depuis un demi-siècle dans l’ère de l’individu, ce travail sur soi est facilité lorsqu’on éprouve les sensations des personnages. Le travail sur l’identité fonctionne sur l’émotionnel et sur l’affectif. Dans le roman, il y a une histoire bien sûr, mais surtout un effet miroir, ce qui nous place sans cesse dans le récit de nous-même. Le livre entraîne le lecteur, dans une histoire sous forme narrative ou sous forme de prise de position. Ce qui lui permet de s’identifier ou de rentrer dans un camp. Les gens ont besoin aujourd’hui de se forger très vite une opinion, comme on peut le voir sur Internet et sur les réseaux sociaux, d’où le risque d’enfermements communautaires. Or le roman est une de ces occasions de rentrer dans la pensée de l’autre. A l’heure où il est difficile d’entrer dans le débat d’idées. Dans le roman, on trouve une réflexion flottante. C’est allusif, c’est un type de réflexion soft, où l’on réfléchit sans en avoir l’impression. A une époque où il y a mille chemins à prendre, les romans permettent de façon intuitive de réfléchir aux nouvelles questions de notre temps. D’ailleurs les romans, depuis Zola, se donnent comme des enquêtes sur la réalité. La pure fiction aussi donne matière à réflexion.”
Tribune : Le roman n’est pas qu’un divertissement
Alors que les romans dominent largement le palmarès des meilleures ventes annuelles Ipsos/Livres Hebdo (sur les 50 premières places, 40 sont occupées par des romans), le sociologue Jean-Claude Kaufmann analyse ce qui attire tant dans la fiction à notre époque.