Fils lui-même de Tripoli au Liban, où il enseigne les lettres françaises, critique à L’Orient littéraire, traducteur, Jabbour Douaihy est l’un des auteurs libanais écrivant en arabe publiés en France. Quatre de ses romans sont déjà parus ici depuis Equinoxe d’automne (AMAM-Presses du Mirail, 2000). Celui-ci, le plus abouti, le plus subtil, le plus envoûtant, devrait le révéler.
Jabbour Douaihy s’intéresse à deux familles de Tripoli, qui fut jadis la capitale d’un comté chrétien du Levant et est aujourd’hui l’une des bases arrière du Hezbollah chiite. D’abord les Azzâm, des notables musulmans libéraux, descendants du noble Mustafa, un mufti ottoman. Le dernier de la lignée, Abdel-Karim, élevé chez les frères, a fui la guerre à Paris. Là, il est tombé amoureux d’une ballerine serbe que la guerre, encore elle, a ramenée dans son pays. De retour chez lui, sans nouvelles de sa belle, Abdel-Karim succombe à la mélancolie, tandis que les Moukhâbarât syriens font la loi dans sa ville. Mais le jeune Ismaïl, fils d’Intissâr, la femme de ménage des Azzâm, et de Bilâl, va venir le tirer de sa torpeur. Elevé dans la violence du Quartier américain, le plus pauvre de Tripoli, le gamin a commis quelques bêtises. Puis, à l’âge de 20 ans, il est tombé dans l’islamisme radical et rallie les rangs d’un cheikh fanatique, lequel l’envoie commettre un attentat-suicide à Bagdad. Mais l’arrestation de Saddam Hussein, en 2003, va changer la donne. Et les destins des deux garçons s’entrecroiser.
Même s’il s’inscrit dans le passé, le roman de Jabbour Douaihy est très actuel (la guerre civile en Syrie et l’expansion de Daech). Mais le livre ne se veut ni politique, ni historique, c’est avant tout un chant d’amour à une ville d’Orient, multiconfessionnelle, l’un des symboles de ce Liban harmonieux dont on finirait par croire qu’il n’a existé que dans l’imagination de ses écrivains. Jabbour Douaihy n’en méconnaît pas les faiblesses, mais il en exalte le charme. Jean-Claude Perrier