Ce fut l'un des livres-objets les plus élégants de l'année 2005. 28 paradis, un curieux album rêveur publié aux éditions de l'Olivier, un long poème en prose de Patrick Modiano illustré des gouaches enluminées de sa femme, Dominique Zehrfuss. Ou plutôt l'inverse, tant le dessin était un préalable, et le texte un contrepoint, une fugue "moderato cantabile". C'est cet album, précieux comme un secret partagé, que réédite aujourd'hui Gallimard dans la collection de Patrick Mauriès, "Le cabinet des lettrés". Seulement, il lui est adjoint son pendant, vingt-huit gouaches pour autant d'enfers, cette fois-ci "légendées" par la poésie de la chanteuse Marie Modiano, fille de. Et cette affaire de famille entre l'éden et les ténèbres n'en finit pas de nous troubler. Dominique Zehrfuss y virevolte dans la miniature, raconte avoir imaginé ses paradis un jour de grande tristesse, un de ces jours où le monde paraît si inhabitable qu'il ne peut se supporter qu'en en inventant d'autres (puis elle attendit que retombe le chagrin, pour leur imaginer les enfers afférents). Modiano évoque une "lilliputienne" déjà croisée dans son oeuvre alors qu'elle était encore naissante (Ma lilliputienne est le titre d'une chanson qu'il écrivit en 1967 pour Hugues de Courson), le trait de Dominique Zehrfuss va du Douanier Rousseau, de François Augieras, à l'ami Garouste. Il flotte sur tout cela un air de Segalen, de Gauguin, d'îles sous le vent, de ligne claire. Un apaisement aussi, comme si paradis et enfers ne constituaient que les aubes et les nuits d'une même journée. Comme un avant-goût de la ligne d'horizon sur laquelle se postent trois rêveurs, trois chiens perdus pour qui la poésie serait un collier, une famille.