Cette histoire, aussi tragique que rocambolesque, pourrait fournir un nouvel épisode des Aventures d’Indiana Jones. Avec, dans le rôle du méchant, le Reichsmarschall Hermann Goering, numéro deux du régime nazi, un militant de la première heure, bourreau fanatique qui se piquait d’être un "homme de la Renaissance" ! Comme Hitler, son maître, et tout aussi mégalo, Goering se targuait d’une passion pour les œuvres d’art, qu’il avait commencé de collectionner dès les années 1930, à ses frais. Puis, dès le début de la guerre, ses fonds étant sans limites, comme ses pouvoirs, il a constitué la plus incroyable des collections, essentiellement abritée dans son château de Carinhall, non loin de Berlin. Des dizaines de milliers de tableaux, sculptures, objets, tapisseries, pillés en France, soit dans les musées, soit surtout volés à des familles juives persécutées, déportées, exterminées, ou, au mieux, chassées. L’héroïne, en revanche, serait Rose Valland, une femme aussi modeste qu’exceptionnelle. Employée comme petite main au musée du Jeu de paume, à Paris, à la fois plaque tournante du trafic des œuvres d’art et gare de triage vers l’Allemagne, et aussi lieu d’expositions privées organisées pour le Reichsmarschall et ses séides, elle a tout noté, tout enregistré, et essayé de cacher, de sauver ce qu’elle a pu. Aussi, c’est tout naturellement elle qui, après l’écroulement du Reich et dans une Europe en ruine, a assumé la lourde tâche de retrouver le maximum des œuvres spoliées, de les rapatrier en France. Plus tard, certaines seront restituées à leurs légitimes propriétaires, publics ou privés. Mais on sait que ce dossier, soixante-dix ans après, n’est toujours pas clos, que des œuvres réapparaissent, tandis que d’autres semblent irrémédiablement perdues. Les spécialistes estiment qu’"en tout, ce seraient 100 000 œuvres d’art et 1 million de livres qui auraient été transportés vers l’Allemagne".
Parmi ces œuvres, les 1 376 répertoriées dans ce Catalogue Goering, où les secrétaires personnelles du tout-puissant ministre ont noté, avec une minutie toute germanique, ce qui entrait dans sa collection jusqu’au printemps 1944. Le catalogue a mystérieusement apparu dans les archives de Rose Valland, et se trouve depuis dans celles du ministère des Affaires étrangères, avec les photographies et les plaques de verre qui l’accompagnent. Celui-ci a décidé de le publier aujourd’hui. C’est un événement éditorial, à la fois grâce à son "intérêt documentaire remarquable, qui ouvrira sans doute des perspectives nouvelles sur cette période et sur ce sujet", mais aussi, bien sûr, par sa "force d’évocation bouleversante", écrit Laurent Fabius dans sa préface. Le lecteur atterré visite ainsi l’anti-musée d’un dément, un nazi qui se croyait au-dessus des lois, l’idéologue de la Renaissance de l’Allemagne (son livre publié en 1939 chez Sorlot, l’éditeur de Mein Kampf), heureusement vaincu et châtié. Mais Goering s’est suicidé à Nuremberg en 1946. J.-C. P.