Lorsqu'on évoque le nom et l'œuvre de Yukio Mishima (1925-1970), il n'est pas sûr que ce soit le sens de l'humour qui vienne à l'esprit spontanément. Plutôt celui du tragique. Et pourtant. Aurions-nous méconnu, ici en Occident, une dimension de cet auteur majeur ? A la lecture de Vie à vendre, on serait enclin à le penser. Demeuré inédit en français depuis 1968, c'est un petit bijou de loufoquerie, un thriller parodique en forme de roman-feuilleton, que l'écrivain qualifiait lui-même, dans sa présentation, de « roman d'aventures psychédélique ». Toute une époque.
Vie à vendre a été publié par Mishima en feuilleton dans la revue Shûkan Purebôi (Playboy Hebdo), en vingt-et-une livraisons, du 21 mai au 8 octobre 1968. Un mode et un rythme qui expliquent sans doute son nombre de chapitres courts importants (55), ses multiples rebondissements souvent abracadabrantesques, l'absolue liberté avec laquelle l'auteur parodie plusieurs genres littéraires, polar, espionnage, romance, fantastique, etc.
La « vie à vendre », c'est celle de Yamada Hanio, 27 ans, un jeune Tokyoïte sans problème apparent, joli garçon, célibataire, rédacteur dans une agence de publicité, mais qui, nihiliste, sans passion, sans motif, a tenté de se suicider, et s'est loupé. Il démissionne de son job et passe une petite annonce dans la presse. Moyennant finances, il remet sa vie entre les mains de celui ou celle qui veut l'acquérir. Et ça va marcher. Plusieurs clients emploieront ses services : un vieux barbon qui lui offre 50 000 yens pour éliminer sa femme infidèle ; une bibliothécaire moche et malhonnête qui veut tester un poison à base de hanneton de fleurs qui pousserait les gens à se suicider (200 000 yens) ; un adolescent qui recrute, pour 230 000 yens, un jeune homme sain afin de « consoler » sa mère malade, en fait un vampire anémique ; deux espions qui l'envoient récupérer un code secret dissimulé dans une émeraude, dérobée par l'Ambassadeur d'un pays B à la femme de celui d'un pays A, dans un bal (2,2 millions de yens). Hanio résoudra l'affaire grâce à des bâtonnets de carottes, légume qu'il abhorre parce que c'était le favori de son père détesté.
Hanio fait sa pelote, et survit à tout. Ce sont plutôt ses employeurs qui y passent. Et toutes les femmes succombent à son charme, même cette cinglée de Reiko, rencontrée par hasard, qui devient sa logeuse et son amante, et veut l'entraîner dans un suicide commun. Mais pas question. Au fil de ses aventures, il s'est découvert un sacré appétit pour la vie. « Toi, tu es fatigué de mourir », lui déclare la jeune femme, déçue, avant qu'il ne s'enfuie pour tomber entre les mains d'espions qui le croient de la police, leur échapper également, et tenter de raconter son histoire à de vrais policiers, lesquels ont bien du mal à le croire. On les comprend un peu.
Mishima s'est sans conteste fait plaisir en écrivant ce feuilleton. Mais, derrière l'humour, ne nous a pas échappé le vrai sujet du livre : le suicide, son obsession. Lui s'est donné la mort par seppuku, de façon théâtrale, en public, le 25 novembre 1970, et ne s'est pas raté.
Une vie à vendre - Traduit du japonais par Dominique Palmé
Gallimard
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 22 euros ; 272 p.
ISBN: 9782072787928