Le 20 mars 2020, l'université Paris-1 Panthéon-Sorbonne remettra un doctorat honoris causa à Carla Hayden. Il s'agit de la première femme et première personne afro-américaine à diriger, depuis 2016, la Library of Congress de Washington, aux États-Unis, considérée comme la plus grande bibliothèque du monde. Cette cérémonie hautement symbolique constituera le point d'orgue de l'« année des bibliothèques » décrétée par l'université parisienne. Cette initiative, suffisamment rare pour être soulignée, a été prise par son président, Georges Haddad, pour mettre en lumière la richesse documentaire de ses établissements.
Paris-1 Panthéon-Sorbonne présente la particularité d'être l'une des seules universités à gérer, en plus de son Service commun de la documentation (SCD), deux bibliothèques interuniversitaires, et non des moindres : la Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne (Bis) et son emblématique salle de lecture Jacqueline de Romilly, ainsi que la bibliothèque Cujas, la plus grande bibliothèque de droit en Europe.
Des grands chantiers
Pour Thierry Kouamé, maître de conférences en histoire médiévale et chargé de mission Bibliothèques et politique documentaire auprès de Georges Haddad, cette année des bibliothèques devait être, à côté de l'important programme de conférences, portes ouvertes, découverte des métiers des bibliothèques et participations à des manifestations nationales telles que les Journées du patrimoine ou la Nuit de la lecture, l'occasion de lancer de grands chantiers pour les bibliothèques. « L'effort de l'État pour les bibliothèques universitaires n'est pas à la hauteur des enjeux de la recherche, alors que la question documentaire en constitue pourtant l'un des éléments essentiels », déplore l'universitaire, qui salue la récente revalorisation de la subvention du gouvernement, après des années de stagnation.
En 2016, ce déficit de moyens avait conduit la Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne à tirer la sonnette d'alarme. La rénovation de l'établissement, l'année précédente, avait permis la modernisation nécessaire des espaces mais avait entraîné une perte de 40 % des espaces dédiés au stockage des documents, aggravant le déficit chronique de places pour les quelque 2 millions de documents spécialisés en sciences humaines de la bibliothèque, et augmentant les frais de stockage extérieur. Les frais supplémentaires pour le personnel recruté dans le cadre des extensions des horaires d'ouverture alourdissaient également la facture. Le budget d'acquisitions documentaires en avait fait les frais. Depuis, la situation s'est rétablie. Le budget a été revalorisé, les frais de stockage extérieurs ont été réduits, la participation active au programme national CollEx-Persée, destiné à soutenir des projets autour des collections documentaires dans l'enseignement supérieur et la recherche, apporte des subventions tandis que l'instauration de frais d'inscription pour les lecteurs extérieurs a créé une source de revenus.
250 ans en 2020
La Bis s'apprête aujourd'hui à fêter sereinement en 2020 ses 250 ans. Pour son « année des bibliothèques », elle propose des expositions physiques et virtuelles, des accueils d'écrivains, des rencontres autour de publications. « L'année des bibliothèques apporte un coup de projecteur, se réjouit Laurence Bobis, directrice de la Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne. Cela affirme leur rôle dans toutes les activités de l'université, la réussite étudiante, la recherche. »
À quelques centaines de mètres de la Bis, la bibliothèque interuniversitaire Cujas, en face du Panthéon, doit également gérer la problématique des espaces de stockage. 95 % du million de documents de cette bibliothèque de niveau recherche spécialisée en droit sont en magasin. Les enseignants-chercheurs et les chargés de cours sont autorisés de longue date à y aller prendre leurs ouvrages directement, ce qui a transformé les magasins en lieux de convivialité informels où les jeunes chercheurs croisent les grands professeurs de droit. Accroître le volume des collections en accès libre dans les salles de lecture étant impossible, la bibliothèque projette d'élargir l'accès des magasins aux doctorants, ce qui nécessitera d'importants travaux d'aménagement. « Élargir l'accès des magasins est un réel enjeu pour nos publics », confirme Noëlle Balley, directrice de la bibliothèque Cujas. Les travaux prévoient également le réaménagement du hall d'entrée. L'« année des bibliothèques » aura été pour la bibliothèque Cujas l'occasion de participer pour la première fois aux Journées du patrimoine et de faire sa première exposition physique en complément de ses expositions virtuelles. L'établissement a également réuni en février quatre-vingts chercheurs et bibliothécaires autour de questions de numérisation et de projets d'étude sur ses collections. « L'année des bibliothèques nous permet de nous ouvrir à un public plus vaste que celui des juristes », indique Noëlle Balley.
Le Service commun de la documentation, qui gère une quarantaine de bibliothèques, s'est de son côté enrichi en septembre 2019 d'un nouvel équipement. Installée sur le nouveau campus Port Royal où elle occupe, au cœur de Paris, 2 000 m2, la bibliothèque Pierre Colliard a fusionné les collections de trois bibliothèques de droit.
« Sans bibliothèques, pas d'université »
Pour Georges Haddad, qui achèvera en 2020 son mandat de président de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, les bibliothèques constituent le noyau de toute université.
Georges Haddad : J'ai décidé de rythmer les trois années de ma présidence par des thématiques. Après la recherche et l'Afrique, j'ai considéré que les bibliothèques méritaient un éclairage particulier en raison de leur rôle essentiel dans la vie universitaire qui s'articule autour du savoir produit et du savoir transmis. Une université ne peut pas exister sans bibliothèque, c'est impossible. Même si elles connaissent des mutations en raison du numérique et des technologies de l'information, les bibliothèques présentielles restent indispensables car elles sont le lieu de la rencontre avec le savoir et avec les autres.
La bibliothèque de la Sorbonne et la bibliothèque Cujas sont représentatives de ce qu'est aujourd'hui Paris 1 Panthéon-Sorbonne, une grande université dédiée aux sciences sociales et humaines. Je considère que notre université est en résistance contre le mouvement actuel qui consiste à mettre en avant les sciences dures, et qui pousse à la spécialisation excessive. Les universités les mieux placées au classement international de Shanghai le sont pour le nombre et la qualité de leurs publications en science dure, mais les sciences humaines et sociales sont partout dans leurs enseignements. A l'heure où on doit repenser le monde, un mathématicien, un biologiste doivent avoir des connaissances solides en histoire, en philosophie. C'est le grand défi d'aujourd'hui.
UNA Europa réunit huit universités européennes qui travaillent à l'édification d'une université européenne diplômante. Donner une pérennité à l'Europe passe par la construction d'une citoyenneté universitaire européenne. Les bibliothèques de l'alliance sont au cœur du processus. Elles ont déjà commencé à travailler ensemble et à voir comment mettre leurs ressources en commun. La mobilité concernera les étudiants mais aussi tous les personnels universitaires, y compris administratifs, qui pourront partir former et se former.