Avec ce tome V et pénultième de l’Œuvre critique complet de Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889), le professeur Pierre Glaudes et son équipe poursuivent leur travail de bénédictin, commencé aux Belles Lettres il y a près de dix ans. Premier volume de la Troisième série des Œuvres et les hommes, on y trouve les articles consacrés par l’écrivain aux philosophes et aux écrivains religieux, aux « romanciers d’hier et d’avant-hier », à l’histoire et à ses « à-côtés », et surtout au « roman contemporain », c’est-à-dire à la dizaine d’écrivains que Barbey honora de ses critiques dans La Mode, Le Pays, Le Constitutionnel ou Triboulet, organes de presse où il collabora durant un demi-siècle - et pas seulement pour traiter de littérature. Selon lui, la critique était « un art de juger en général », en fonction d’un certain nombre de valeurs qu’il défendait énergiquement, virilement et avec enthousiasme, chrétiennes, morales et sociétales, mettant sa plume de bretteur à leur service et pourfendant tous ceux qui lui déplaisaient, qu’il accusait d’avilissement, de vulgarité, de décadence, homme et œuvre mêlés. Barbey n’est pas Sainte-Beuve, qu’il exécrait pour sa tiédeur. Ni Taine et Nisard, trop « professoraux ». Lui pratique la critique de combat, flamboyante toujours, injuste parfois, quitte à assumer ses contradictions et ses erreurs.
Mais sur le roman de la fin de son siècle, en revanche, il n’a jamais varié. Adversaire résolu du réalisme, du matérialisme, du naturalisme, il a toujours défendu l’imaginaire, la beauté, la métaphysique. On le lit donc indulgent pour les bien oubliés Octave Feuillet, « un cueilleur de muguet », ou Ferdinand Fabre, « un fier romancier », ou encore pour les frères Goncourt, « écrivains de race » dévoyés dans le naturalisme. Il peine à aimer Richepin parce qu’il est athée, et prophétise le retour à la foi du Huysmans d’A rebours, « l’un des plus décadents […] parmi les livres décadents de ce siècle de décadence ». Mais c’est dans la vacherie que notre ami - que Léon Bloy, son disciple, définissait comme « un Prince soldat et justicier » - excelle et rayonne, sur le ton de la conversation familière : « Figurez-vous ». Continuateurs de Hugo, « ce fort porcher poétique », ses deux bêtes noires s’appellent Flaubert : un « brutaliste », « sec », « maigre et dur », « faiseur de bric-à-brac » et « industriel en culs-de-lampe », et Zola : « le Ponson du Terrail du réalisme et du matérialisme », un « haïsseur du catholicisme » qui se vautre dans la fange et le « cacaboudin ». C’est méchant, excessif, mais pas si mal vu, et d’une lecture tonique, à notre époque de politiquement correct et de veulerie généralisés.
Pour Barbey d’Aurevilly, son travail critique n’était pas séparable de sa création, comme l’avers et le revers d’une même médaille. A partir de 1860, il avait entrepris de le rassembler en volumes. Onze parurent de son vivant et quinze posthumes, mais sans méthode et expurgés. Cette première édition scientifique intégrale respecte donc la volonté de Barbey et nous donne matière à compléter notre connaissance d’un écrivain majeur, réhabilité depuis la publication de ses Œuvres romanesques complètes en « Pléiade », au milieu des années 1960. J.-C. P.