14 octobre > Roman France

Tristan Talberg - c’est un pseudonyme - est un écrivain français mondialement célèbre. A 68 ans, il vient de se voir décerner le prix Nobel de littérature. Un rêve, l’aboutissement d’une carrière. Oui mais voilà, depuis cinq ans, veuf de sa femme Yseult, sa danseuse étoile avec qui il a connu le paradis de l’amour fou, puis l’enfer de la maladie de Huntington, "la Salope", comme il l’appelle, qui a fini par l’emporter, Tristan n’écrit plus. Aussi perçoit-il sa distinction comme une espèce d’imposture, et, accablé, décide-t-il de disparaître, de "s’évaporer ", afin d’échapper aux honneurs et aux médias.

Grâce à la complicité d’amis fidèles, qui ne le trahiront pas, il tente d’abord la Touraine, puis Clermont-Ferrand, Le Monastier-sur-Gazeille, à quoi des souvenirs le rattachent. Mais il n’est pas sûr, à cause des unes des journaux affichant en grand sa photo, de n’y être point reconnu. Aussi transforme-t-il son apparence et, sous l’influence du Voyageavec un âne à travers les Cévennes de Stevenson, il met le cap vers le sud, à pied. Puis, de GR 70 en GR 65, ses pas de marcheur expérimenté vont le diriger sur le chemin de Compostelle. Et cet agnostique de se lancer dans un véritable pèlerinage, épreuve d’endurance pour le corps et ascèse pour l’âme. Quand on marche, solitaire, on a tout le temps pour penser et repenser. Devenu Martin Vallée, le "jacquet" se met au net par rapport à la foi et, au terme d’un véritable examen de conscience, n’est pas loin de croire, comme Yseult qui, elle, était très croyante. Surtout, il revit et raconte leurs années de bonheur, depuis leur rencontre à Evora, au Portugal, en 1977, où lui était passé pour ses études, et elle pour donner une représentation, d’un Tristan et Isolde, bien entendu. Chaque soir à l’étape, précaire ou plus confortable, le Tristan inconsolable écrit à son Yseult défunte de fort belles et tendres lettres, où il lui raconte sa journée, ou bien évoque tel de leurs souvenirs communs. Il retrace aussi leur calvaire à cause de "la Salope ".

Mais, chemin faisant, Tristan fait des rencontres. Jean-Eudes et Anne-Charlotte, deux jeunes cathos BCBG décomplexés et chaleureux, qu’il reverra. Ou encore Emilie, "gamine à casquette" de 28 ans qui se présente à lui comme une pieuse régisseuse de théâtre. En fait, elle finira par lui avouer qu’elle est aussi pigiste pour différents journaux, qu’elle l’a reconnu, qu’elle admire ses livres et qu’elle avait prévu de le démasquer. Elle n’en fera rien et, arrivés enfin au bout de leur pèlerinage, chacun va renaître en l’autre. Sans que Tristan oublie jamais Yseult. Il ira même peut-être recevoir son Nobel…

Un roman hors des modes, par un écrivain talentueux et discret, émouvant mais sans pathos aucun. Jean-Claude Perrier

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