« Sur les Grands Boulevards, je pensais à l’amour qui ne venait pas, au désir que j’avais des hommes et au désir tout court […].C’est ce désir qui me poussait tard le matin à me lever, me laver, m’habiller, à quitter la rue René-Boulanger pour partir au-devant de l’inconnu. Je moissonnais souvent le vide. J’étais le spectateur navré de ma propre vie. »
D’une certaine façon, Myriam Anissimov l’est restée. Et à ces chiens perdus sans collier, ces greffiers mélancoliques de leurs échecs, il n’y a d’autre issue que de devenir ce que l’on a confusément toujours été : écrivain. Depuis quarante ans et la parution de Comment va Rachel ? (Denoël, 1973), ce statut qui n’en est bien sûr pas un sert de « couverture » dans l’existence à cette passagère clandestine. Jours nocturnes qu’elle publie aujourd’hui est moins un recueil de Mémoires qu’un vade-mecum endeuillé, hanté, d’une paradoxale noire allégresse.
Tout commence donc par l’étroite province de ces années-là. Lyon, la boutique de confection de la mère à Villefranche-sur-Saône, le père disparu prématurément dans un accident de voiture, le souvenir immense du grand massacre dont l’un et l’autre, juifs polonais, ont réchappé. Myriam fuit ce morne destin pour les séductions fallacieuses de la capitale, poursuivie par les imprécations maternelles : « En somme, tu es partie de rien, et tu es arrivée à moins que rien. Je t’ai complètement loupée ma pauvre. » A Paris, la suite semble lui donner raison. Il y a la faim, les piaules improbables, la nuit, des hommes et le champ des possibles ouvert jusqu’au vertige (qui se souvient de ce 45 tours Polydor, daté de janvier 1970, où Myriam Anissimov susurrait deux titres, A tous petits petits petons et Les marguerites ?….). Il y a aussi des rencontres : avec un grand jeune homme un tantinet cruel, qui collectionne les vieux annuaires et les promenades nocturnes et n’est pas encore tout à fait devenu l’immense romancier qu’il sera bientôt ; avec une star du rock envapée en laquelle on s’autorisera à reconnaître Leonard Cohen ; avec le ban et l’arrière-ban de la variété française et du théâtre expérimental plus ou moins d’avant-garde. C’est une jeunesse, qui ne dort pas assez et aime mal, qui s’épuise joliment sous nos yeux. Une jeunesse entre chiens et loups dont Myriam Anissimov expose ici le pedigree.
Olivier Mony