14 mars > Roman France

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Avez-vous lu Femmes que j’ai tuées de Gérard Musson, Les enfants d’Eurye 10 de George S. MacPerson, Le cadet des Kerjordan de Bernard Lavarenne, La veille de Thierry Pradelier, La leçon du maître d’Henry James, Les rouges et les blancs de Pierre Davoine, Le démon des neiges d’Eric Swedeberg, Le dolman noir de Jean-François Dupuits ou La jonque de jade de Jean Duprat ? Non ? Jean-Benoît Puech non plus (à l’exception de la nouvelle de James, bien sûr, dont l’ambiguïté ontologique agit ici comme un révélateur, un rideau déchiré). Et de ces lectures ratées, puisque ces livres n’ont jamais existé autrement que dans le désir qu’il avait d’eux, il demeure inconsolable. Aussi, fournit-il à chacun, par le biais de savantes études critiques, non une existence, notion toute relative, mais mieux : un lecteur.

Ces neuf tentatives d’approche hallucinant un texte à venir constituent l’essentiel de l’infiniment troublant Roman d’un lecteur que publie aujourd’hui Puech chez P.O.L. L’essentiel, ou plutôt la majeure partie, tant le texte final intitulé « Adieu, Roman ! », biographie brève de l’auteur comme emperlée de tristesse, paraît être le « rosebud » du livre, une « fin de partie » où l’artiste dépose ses pauvres armes, frondes et épées de bois. Jean-Benoît Puech a beau publier depuis près de trente-cinq ans (La bibliothèque d’un amateur, Gallimard, 1979), l’incipit de ce texte (« Je n’aurai pas écrit l’œuvre dont je rêvais (quel alexandrin !). Un roman réaliste, un grand roman réaliste français ») laisse peu de doute sur son sentiment d’inaccomplissement. S’est-il perdu dans les chausse-trapes de ses fictions spéculatives où, caché derrière ses hétéronymes successifs, Benjamin Jordane, Yves Savigny, comme un enfant planqué dans la bibliothèque de son père, il aurait fini par laisser s’écouler loin de lui le flux vital de la création ? Puech n’est pas un titan, c’est entendu, mais c’est un authentique écrivain, adepte des mystérieuses correspondances qui peuvent se tisser d’une œuvre l’autre, de Borges à Agatha Christie, du Des Forêts des Mendiants aux « Signe de piste » de Foncine et Dalens, de Pessoa à Hergé… Son Roman d’un lecteur qui réinvente encore le grand jeu de sa cosmogonie personnelle doit donc être compris comme son art poétique et peut-être plus encore comme le plus précieux des manuels de savoir-vivre.

Olivier Mony

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