Avec un marché du livre en recul de près de 3 % en volume pour la deuxième année consécutive, les distributeurs ont vécu une année tendue en 2024. D'autant qu'ils subissent de plein fouet les augmentations de coût de l'énergie, mais aussi du carton, évidemment. « Si l'activité baisse en volume, elle ne baisse pas au niveau logistique », remarque de surcroît Philippe Lamotte, directeur de la branche Services et Opérations d'Hachette Livre et président de la Commission distribution du Syndicat national de l'édition (SNE). Ce que cette dernière a constaté au niveau global, « c'est que les lignes de commandes, elles, n'ont pas diminué ».
Autrement dit, les clients achètent toujours autant de références, mais dans des quantités moindres. « Plus vous avez de lignes de commandes pour le même chiffre d'affaires, plus cela vous coûte cher pour traiter ce flux », résume-t-il. Cette tendance ne date pas d'hier. Hormis la période Covid, le marché du livre a connu une érosion quasi continue dans les années 2010, poussant nombre de distributeurs à se moderniser pour s'adapter aux nouvelles pratiques des libraires, plus soucieux du contrôle de leur stock.
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Le projet « Ravioli » de MDS
C'est ainsi que MDS, la filiale du groupe Média-Participations, engage continuellement depuis 2008 une modernisation de ses outils. Si d'ici la fin de l'année 2025 les premiers robots goods to man permettant d'aller chercher les livres dans les racks, installés en 2012, devraient être remplacés par une version plus rapide et efficace, 2024 a vu son lot de petites et grandes améliorations sur le site de Dourdan (Essonne). Le directeur général de la structure, Olivier Barbé, est satisfait du lancement de son projet « Ravioli » à l'automne dernier.
Inspirée du plat typique italo-asiatique, avec des feuilles cartonnées qui se scellent autour des livres pour former un emballage prêt à expédition, la machine répond parfaitement à cette problématique de petites commandes très récurrentes. Chez MDS, 25 % des commandes de réassort comportent en effet « moins de cinq livres », selon Olivier Barbé. « Cette technologie permet de réduire les délais, d'être moins consommateur en carton, plus RSE et d'être plus productif », encense le dirigeant, qui a également introduit pour certaines prestations logistiques des exosquelettes pour ses manutentionnaires, plus de 250 en comptant les intérims, afin de faciliter les ports de charge.
Gros investissement dans la digitalisation du service client
Malgré le départ d'un client majeur, Auzou, distribué depuis le 1er janvier chez Interforum, MDS aborde 2025 avec un plan toujours axé sur la modernisation, la centralisation et l'optimisation des coûts. « Notre stratégie, c'est d'essayer d'avoir toujours un coup d'avance », confie Olivier Barbé, avec un gros investissement dans la digitalisation du service client. Dès cette année, MDS attend le déploiement d'un nouveau CRM intégrant un chatbot. La société souhaite monter en puissance avec l'intelligence artificielle permettant la mise en place notamment d'un service client 24h/24. « L'IA ne remplace pas nos équipes, elle les accompagne en analysant et en proposant des pistes de synthèse », explique l'ancien directeur de la distribution du groupe au Benelux.
Enfin, autre avancée majeure pour MDS, à l'été sera opérationnel sa nouvelle extension de 6 400 m2 d'entrepôt qui permettra d'intégrer 70 % du stock et tous les métiers de la distribution sur le site de Dourdan, et de fermer, à court terme, celui de Ballainvilliers. « La centralisation permet de réduire les coûts de transport et l'empreinte carbone, ainsi que de gagner en délai », justifie Olivier Barbé, d'autant que le nouveau toit accueillant des panneaux photovoltaïques permettra de couvrir 25 % des besoins énergétiques du site.
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Accueillir de nouvelles maisons
L'agrandissement, c'est aussi le pari de Dilisco, dont le site de Chéniers (Creuse) sera allongé au début du printemps de 6 000 m2 également pour contenir 20 000 palettes supplémentaires. La plateforme, d'une superficie actuelle de 22 092 m², construite sur un terrain de 77 721 m², accueillera également des ombrières solaires photovoltaïques capables de produire 500 kWc, pour l'autoconsommation et la revente du surplus d'électricité. La filiale de distribution du groupe Albin Michel sort d'une année 2024 éprouvante. Si la modernisation des convoyeurs s'est bien déroulée, le changement de l'outil informatique a stoppé l'activité pendant deux semaines en mars et entraîné du retard jusqu'en juin, puis à nouveau en septembre. « La crise est derrière nous », assure le dirigeant David Gobert qui a conclu l'année avec un résultat d'activité en baisse de 1,5 % par rapport à 2023.
Aujourd'hui, il se considère en « phase d'optimisation ». De là à accueillir les marques du groupe Humensis, encore distribuées par UD, que vient de racheter sa maison-mère ? « Dilisco se prépare à pouvoir le faire si le groupe le demande », répond laconiquement le dirigeant. Chez Interforum, on se prépare en tout cas à intégrer en fin d'année Delcourt, 3e groupe éditorial français de BD actuellement distribué par Hachette Distribution et racheté en fin d'année dernière par Editis. Le nouvel actionnaire de ce dernier, Daniel Křetínský, a poursuivi les investissements de son prédécesseur, le groupe Vivendi, dans l'outil de distribution du deuxième groupe éditorial français. « Ces investissements sont indispensables pour maintenir et compenser l'augmentation des charges d'exploitation », explique François Lieutard, le directeur général d'Interforum, chargé de la direction des opérations du Groupe regroupant les fabrications, la distribution et les achats industriels du groupe Editis. « Il y a eu un fort markup [taux de marge] sur le démarrage des nouveaux systèmes goods to man intégrés dans les processus de préparation, l'Autostore [outil de stockage et de récupération automatisé] et PTS Savoye notamment », assure-t-il.
La tendance observée de baisse du poids de la ligne de commande entraîne des conséquences en termes de logistique et de saturation des sites lors des pics d'activité, notamment en fin d'année. « Nous devons mieux maîtriser l'écoulement des flux pour que les produits soient bien en temps et en heure partout », analyse-t-il en expliquant que l'augmentation continue du nombre de références rend la gestion plus complexe. « Mais cela fait partie du job de la distribution », conçoit-il. L'accueil d'Auzou, 2e éditeur français jeunesse au 1er janvier, a été facilité par les investissements réalisés et opérationnels qui se prolongent actuellement par la modernisation d'une des deux tours de stockage de 40 000 palettes sur le site de Malesherbes (Loiret).
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Interforum réfléchit par ailleurs à l'optimisation de sa distribution et de son transport, avec une attention particulière sur les matériaux d'emballage et le recyclage. Le coût de l'énergie reste un facteur de pression important, bien que moins critique qu'auparavant. « Nous devons sans cesse réinvestir pour améliorer la performance globale et renouveler nos installations », répète François Lieutard, en écho à ses confrères. L'entreprise mise sur des solutions d'impression et de réapprovisionnement plus flexibles pour éviter les surstocks et réduire les coûts. « Il faut être réactif là où il y a une demande et ne pas faire de la surqualité là où elle n'est pas attendue », philosophe le dirigeant.
Des pics d'activité de plus en plus concentrés
D'autant qu'un autre phénomène notable s'est renforcé en 2024, la concentration des ventes sur des périodes très courtes. « Les pics d'activité sont encore plus élevés. La fin d'année a été concentrée sur les 15 derniers jours avant Noël, encore plus que les années précédentes », relève Philippe Lamotte, le président de la Commission distribution du SNE, ce qui oblige les distributeurs à adapter leurs capacités de stockage et de livraison de manière très réactive.
Celui qui est par ailleurs directeur de la branche Services et Opérations d'Hachette Livre remarque que « les libraires recherchent moins la rapidité de livraison que la certitude d'un délai respecté ». Face à la transformation du marché en baisse de volume, il souligne également une évolution vers un modèle similaire à celui de l'e-commerce : « Petit à petit, on descend sur des poids de ligne qui, un jour, nous amèneront au modèle d'une ligne de commande pour un seul exemplaire. »
Revenant sur l'abandon du projet de nouveau site Hachette Distribution annoncé il y a un an, Philippe Lamotte explique que la décision a été prise après une analyse approfondie du marché post-Covid et qu'elle relevait d'une gestion prudente. « C'était une décision de saine gestion, prise avec la direction générale du groupe Hachette Livre. Il faut trouver le bon projet adapté aux enjeux du marché post-Covid qui, après avoir beaucoup monté, s'est stabilisé », justifie-t-il en assurant que si « le projet initial a été arrêté, notre ambition reste intacte et nous travaillons sur d'autres projets, mais il est encore trop tôt pour en dire plus ».
Frustrations parmi les éditeurs clients
Cet abandon de projet a généré plusieurs frustrations parmi les éditeurs clients du groupe. L'un d'entre eux a fait part à Livres Hebdo de son agacement après « avoir signé avec Hachette sur la promesse d'une modernisation prochaine de l'outil qui ne vient pas ». Pourtant, Philippe Lamotte assure que le Groupe poursuit ses investissements sur le site de Maurepas (Yvelines). « Notre outil de distribution reste le plus performant. Nous sommes, par exemple, toujours les seuls à proposer un service d'impression à la demande intégré à notre production, ainsi qu'un service de court tirage automatisé », argue-t-il.
Philippe Lamotte rassure sur l'avenir de la distribution chez Hachette, qui vient d'accueillir les éditions Gallmeister, anciennement chez Sodis, et Éditions Prisma, parties d'Interforum. « Le monde change, et il faut que nous prenions le temps nécessaire pour réfléchir à la meilleure manière d'accompagner les éditeurs dans l'amélioration de leurs tirages et dans les services attendus pour répondre aux nouveaux enjeux. » Plus qu'une science de l'optimisation, la logistique est un art de l'adaptation.