Un jour de 1974, un jeune libraire parisien d’origine saintongeaise, François Rivière, publia dans les pages des regrettées Nouvelles littéraires le premier article qu’il eut jamais publié, hommage à Gilbert Keith Chesterton. Quarante ans et des centaines d’articles, livres et scénarios plus tard, le même Rivière nous livre avec Le divin Chesterton une manière de boucle anglophile bouclée en même temps que le premier travail biographique digne de ce nom paru en France autour de celui qui fut vénéré par Borges ou Kafka (qui put dire de lui : "Chesterton est tellement joyeux qu’on ne peut s’empêcher de penser qu’il a trouvé Dieu"…).
Biographie donc, spécifie l’éditeur sur la couverture du livre. Oui, mais bien plus encore. Car si tout y est de la vie de ce Divin Chesterton (si divin, que d’aucuns réclament sa canonisation et que le pape François le cite à tout bout d’encyclique), y compris de ses zones d’ombre, de ses amitiés paradoxales avec les bien plus libéraux que lui, H. G. Wells ou G. B. Shaw, le cœur secret de ce livre est que l’on pressent en lui comme un portrait en creux du biographe lui-même… Comme Barrie, l’auteur de Peter Pan, auquel François Rivière consacra déjà une biographie, Chesterton est un enfant dissimulé dans un corps d’adulte. Formidable excentrique, incapable d’assumer la complexité de ses désirs (le récit que fait Rivière de sa nuit de noces, inaugurant un mariage qui ne fut probablement jamais "consommé", est proprement hilarant), refusant de se soumettre à la tyrannie des causes et des conséquences, boulimique de travail (entre autres choses), Chesterton exerce sur son temps un magistère aussi artistique que moral et politique. Sans aucune cuistrerie, mais en l’accompagnant le long de ses chemins de traverse, François Rivière nous permet de redécouvrir le génie singulier de ce vieil enfant si intimement anglais qu’il touchait à l’universel… Il y a d’ailleurs, sans qu’aucun anniversaire ne le justifie artificiellement, un "moment" Chesterton dans l’édition française depuis qu’en janvier dernier Les Belles Lettres ont réédité son autobiographie, L’homme à la clé d’or. Parallèlement à la sortie du livre de François Rivière et à son initiative, les éditions Rivages rééditent un roman oublié, La sphère et la croix et surtout une pièce de théâtre inédite, Magie, connue jusqu’alors seulement pour l’adaptation cinématographique qu’en fit Ingmar Bergman (Le visage, 1958). Enfin, les éditions Climats publient La chose : pourquoi être catholique ?, un recueil d’articles parus en 1929 et jamais réunis en volume. O. M.