Les manuscrits inédits de Jean Forton (1930-1982) impressionnent par leur force. On se souvient d'avoir été frappé par L'enfant roi, terrible roman exhumé par Le Dilettante en 1995 avec une préface de Pierre Veilletet, puis par les trois recueils de nouvelles édités chez Finitude de 2003 à 2009 : Pour passer le temps, Jours de chaleur et Sainte famille.
Entré en littérature en 1951 avec un mince récit, Le terrain vague, paru chez Pierre Seghers, le Bordelais, qui fut libraire spécialisé dans les livres de droit, a laissé une oeuvre rare que l'on peut rapprocher de celles de Raymond Guérin, Jean Reverzy ou Paul Gadenne. Manuscrit mentionné dans sa correspondance et longtemps introuvable, avant d'être déniché dans un dossier portant le titre d'un roman déjà paru, La vraie vie est ailleurs n'a rien d'un fond de tiroir.
Le narrateur, un certain Lajus, a un père qui dirige l'observatoire de Sénac et une mère qui enseigne le latin au lycée de jeunes filles. Il raconte qu'il est devenu l'ami de Juredieu à la piscine municipale, un après-midi de novembre. Il a alors 15 ans, veut plus que tout être aimé. Pour l'enfant honteux qu'il est encore, Juredieu apparaît comme un archange avançant dans l'existence "avec cette assurance de qui a fait définitivement sa mue". Ce jour-là, Lajus se fait chahuter et précipiter dans l'eau par son nouveau camarade. Lequel le tire ensuite d'une mauvaise situation en corrigeant le grand Cros.
Juredieu se montre formel : "L'essentiel dans la vie, c'est de cacher ses sentiments, ses faiblesses. Ne pas prêter le flanc", affirme-il. Selon lui, chez les filles, "les seules intéressantes, ce sont les vieilles. Des filles d'au moins seize, dix-huit ans. Des vraies filles, et qui couchent". Désormais, les deux solitaires font la paire. Et on imagine volontiers celui qui entraîne l'autre dans de curieux jeux... Très tenu et très tendu, La vraie vie est ailleurs se révèle au fil des pages rien de moins que l'un des meilleurs crus de l'auteur de L'épingle du jeu ("L'imaginaire").