Anna Freud est née en 1895. Comme la psychanalyse et le cinéma. Cette correspondance croisée avec son père Sigmund déroule donc le film familial d'une méthode devenue universelle. Dans ces 298 lettres éditées par Ingeborg Meyer-Palmedo, on voit se dessiner les hésitations du père et le questionnement de plus en plus précis de la fille cadette devenue disciple. Ce sera la seule de la famille.
L'admiration d'Anna pour un père dont la célébrité ne cesse de grandir est évidente. Elle aimerait bien faire comme lui, voyager, découvrir, comprendre. Il apprécie sa vivacité intellectuelle, s'inquiète de ses angoisses et finit par accepter sa préférence sexuelle. Au fur et à mesure, les lettres s'allongent comme le corps souffrant sur le divan.
Dans sa préface, Elisabeth Roudinesco resitue cet échange épistolaire, qui court de 1904 à 1938, dans le cadre de l'histoire de la psychanalyse en montrant son importance. L'attirance d'Anna pour les femmes fait l'objet d'une investigation supplémentaire pour Sigmund. Il entame d'ailleurs une analyse avec celle qu'il considère comme sa "chère et unique fille", qui se spécialisera dans la thérapie des enfants.
Mathilde, Martin, Oliver, Ernst et Sophie, on les trouve dans l'autre volume où sont regroupées les Lettres à ses enfants. C'est un autre Freud qui apparaît. Les préoccupations ne sont pas d'ordre psychanalytique mais familial. Quoique... Chassez le psy, il revient inconsciemment. Il y est beaucoup question de nature, de libido, de couple et de la recherche du mieux-vivre.
Ces missives inédites annotées par Michael Schröter nous font entrer dans l'intimité des Freud. Sigmund, la cinquantaine, est installé à Vienne. Il est marié depuis vingt ans avec Martha, lorgne occasionnellement sur sa belle-soeur, et s'entretient avec ses enfants. Chacun d'eux est présenté par une "esquisse biographique" suivie des fameux courriers. On distingue ainsi la personnalité de chacun : Martin coureur de jupons, Ernst tout autant, Mathilde qui s'éprend des patients venus consulter son auguste père, Sophie qui tombe enceinte une troisième fois sans l'avoir voulu, Oliver brillant ingénieur névrosé...
Tous bénéficièrent de la notoriété de Freud et de son aisance financière, y compris dans les moments difficiles de la crise de 1929. Un homme pas toujours présent certes, mais qui fait tout pour que sa famille "tienne". Il sait qu'il en est le centre de gravité. Rien ne peut, rien ne doit lui échapper. Mais ce qui chez d'autres se transformerait en tyrannie prend chez Sigmund la forme d'une réelle générosité.
Anna, ses soeurs et ses frères ont eu un père attentif, bienveillant et autoritaire. Comme la psychanalyse, en somme...