Il y a dans l’économie littéraire modeste d’Emmanuelle Guattari (textes brefs, récit en éclats) quelque chose d’infiniment gracieux et attentionné. Jamais naïf cependant. Découverte avec La petite Borde (2012) et Ciels de Loire (2013) dans lesquels la fille de Félix a raconté son enfance anticonventionnelle dans la clinique psychiatrique de La Borde créée par son philosophe de père, on la retrouve un peu plus tard, loin du Loir-et-Cher, installée à New York. Car on imagine que la narratrice de ce troisième récit emprunte à l’écrivaine quelques données biographiques dont ce père, si peu banal, qui a extrait de son carnet d’adresses le premier point de chute new-yorkais de sa fille, chez un ami dans le sud de Manhattan, près des docks.
C’est la fin des années 1980, Manhattan, et plus encore Brooklyn, où la jeune Française vivra un peu plus tard dans un appartement en colocation avec trois garçons, n’a pas encore été nettoyé de ses pauvres et de ses fous. On y trouve des immeubles murés, des rues où les taxis ne vont pas. On peut encore se faire des frayeurs en s’aventurant seule à quelques blocs à l’ouest de Times Square.
Dans New York, petite Pologne, toutes les vues recadrées par Emmanuelle Guattari ont des angles absolument singuliers : la projection de Terminator dans l’unique cinéma de Willamsburg, le regard culpabilisant d’un chien trouvé dans le métro et laissé à la SPA faute d’argent, un cafard dans un escalier très pentu, Janice couchée dans la rue devant la porte d’entrée de l’immeuble, trois poules sur un trottoir où un pont a été fermé à la circulation… Face à l’étranger, à l’inconnu, la jeune narratrice garde les yeux tranquillement ouverts. Fidèle à sa paisible acceptation de la nouveauté et de l’altérité. L’héritage dont elle nourrit ses profonds petits livres. V. R.