Elle aime les monstres. Il y eut Jacques Chirac (Chirac ou Le démon du pouvoir, Albin Michel, 2002), François de Grossouvre (Le dernier mort de Mitterrand, Grasset, 2010), Les Strauss-Kahn (avec Ariane Chemin, Albin Michel, 2012), voici peut-être le plus inquiétant et le plus touchant d’entre eux, Richard Descoings. Raphaëlle Bacqué a croisé son destin le 11 avril 2012, à l’église Saint-Sulpice à Paris, et compris qu’elle tenait là sans doute le fleuron de sa "collection". Ce jour-là, on enterrait, avec celui qui fut seize ans durant l’emblématique directeur de Sciences po Paris, un rêve inachevé de transgression, d’hypothèse de grand frisson. Avant que de retomber dans la léthargie des "grands cimetières sous la lune"…
Rien n’indiquait pourtant que Richard Descoings soit l’Elu qui ferait bouger les lignes. Ce fils de médecins parisiens, enfant et élève discret, était promis aux plus hautes et conformistes destinées. Louis-le-Grand, Henri-IV, Sciences po, l’Ena, puis le Conseil d’Etat, les cabinets ministériels… Rien, si ce n’est ce "pas de côté" que symbolisait son homosexualité, en ces années et en ces lieux peu friands de singularité. On l’ignore trop souvent, mais le jeune conseiller d’Etat Descoings, effacé et dévoué, fut parmi les premiers animateurs d’Aides, auprès de Daniel Defert et de quelques autres. Il fallait, à ce rebelle qui s’ignorait plus ou moins, une cause ; en voilà une. Mais ce grand commis de l’Etat n’ira vraiment à la recherche de sa vérité la plus intime qu’en accédant à la direction de Sciences po Paris. Il s’y appliquera à défaire consciencieusement tout ce qui l’avait fait, un système de fausse "méritocratie" républicaine qui ne produit jamais que "la reproduction du même". Sous son impulsion, la rue Saint-Guillaume va s’ouvrir au pays réel, au monde, culbutant comme un soudard le conformisme ambiant. Ceci pour sa part de lumière, car peu à peu l’ombre gagnera, et ce mélancolique qui s’ignore, bipolaire, comme emporté par son succès (ses étudiants qui le surnomment Richie et avec lesquels il n’hésite pas à se donner en spectacle, l’adorent ; Nicolas Sarkozy songe à le nommer ministre de l’Education nationale ; les médias et la communauté universitaire internationale se le disputent), s’isole peu à peu dans un exercice paranoïaque et solitaire du pouvoir. Jusqu’à cette nuit new-yorkaise du 3 avril 2012, où il ne lui fut plus possible d’intimer à sa douleur de rester sage… Et c’est ainsi, fiévreux, hiératique, entre petites manœuvres et horizons lointains, que Raphaëlle Bacqué nous restitue Richard Descoings. Presque avec tendresse. Il est vrai que Richie, c’est une histoire d’amour. D’amour et de ténèbres. Olivier Mony