Václav-Havel, à Paris : la bibliothèque solidaire

Les ateliers de pratique du français sont devenus des rendez-vous hebdomadaires. - Photo Olivier Dion

Václav-Havel, à Paris : la bibliothèque solidaire

Confrontée à un afflux sans précédent de migrants, qui ont établi un camp devant son bâtiment à l’été 2015, la bibliothèque Václav-Havel, à Paris, a élaboré un arsenal de réponses dans une démarche d’inclusion et de cohabitation des publics.

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Par Véronique Heurtematte
avec Créé le 03.06.2016 à 02h01

Dans un quartier populaire et multiculturel, la bibliothèque Václav-Havel, dans le 18e arrondissement à Paris, savait dès avant son ouverture en 2013 qu’elle aurait parmi son public une proportion importante de migrants. Elle s’y était préparée en constituant des collections de français langue étrangère et en prévoyant d’accueillir des groupes de primo-arrivants encadrés par les acteurs sociaux. Mais rien ne laissait présager ce qui l’attendait : le froid particulièrement tenace de l’hiver 2014-2015 a conduit un nombre anormalement élevé de migrants à venir se réchauffer dans les locaux, à monopoliser les prises électriques pour recharger leurs téléphones portables, et les ordinateurs pour les sessions Internet. En janvier 2015, les attentats au siège de Charlie Hebdo et au magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes provoquent la stupeur générale et une réaction de crispation chez une partie des usagers habituels de la bibliothèque.

L’été suivant, un nouveau cap est franchi avec l’installation d’un campement, où se rassemblent jusqu’à 200 personnes, devant les locaux de la bibliothèque. "On s’est retrouvés face à des problèmes d’hygiène, de santé, à gérer un climat d’insécurité. C’était une situation très éprouvante pour tout le monde", se souvient le directeur de l’établissement, Alain Maenen. Face à cette situation exceptionnelle et totalement inédite, l’équipe élabore peu à peu, de manière empirique, un arsenal de réponses reposant sur une démarche solidaire envers les migrants, avec un souci de préserver tous ses publics et de les faire coexister sereinement. Premier impératif : définir les usages autorisés et ceux qui ne le sont pas. "Nous nous sommes tenus à ce qu’une bibliothèque peut offrir, poursuit le directeur. Prêter des salles aux associations pour leurs cours d’alphabétisation ou leurs séances d’aide juridique, recharger son portable, oui. Brancher un réfrigérateur avec une rallonge, non."

"Tous les publics sont légitimes"

L’équipe se lance également dans une réorganisation des salles et de la répartition des ordinateurs afin d’éviter la surconcentration d’usagers dans certains espaces. Les bibliothécaires repèrent des migrants maîtrisant suffisamment le français pour les aider à traduire un certain nombre de documents en différentes langues comme le farsi, le pachtoun ou l’arabe, ils élaborent un guide listant les services utiles. Ils rencontrent aussi le directeur de la Cada (Commission d’accès aux documents administratifs) pour s’informer sur les démarches que doivent accomplir les demandeurs d’asile, et ils impriment, pour le mettre à disposition des migrants, le formulaire de procédure, disponible dans toutes les langues sur le site Internet du ministère de l’Intérieur. La bibliothèque plaide auprès de sa tutelle, la Mairie de Paris, pour obtenir, avec quelques autres bibliothèques du réseau parisien dans la même situation, la traduction du document de présentation de l’établissement, la fiche d’inscription et le règlement intérieur en 12 langues.

Les "parlottes", des ateliers de conversation et de pratique du français, passent à un rythme hebdomadaire et deviennent l’un des rendez-vous les plus fréquentés de la bibliothèque. Peu à peu, chacun prend ses marques, le climat s’apaise. "Nous avons tenu un discours commun à nos usagers, défendant l’idée que tous les publics sont légitimes, explique Lola Mortain, directrice adjointe de la bibliothèque. Ça nous a pris un an pour retrouver une situation sereine."

En novembre 2015, la bibliothèque décide de participer au festival Migrant’scène organisé par la Cimade. L’objectif est de désamorcer les réticences qui subsistent encore entre les différentes communautés d’usagers en proposant des jeux, des moments festifs, des temps de débat. Les lecteurs répondent massivement à l’appel et tout le monde se retrouve à danser ensemble, lors du grand bal. Mission accomplie.

03.06 2016

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