5 février > Philosophie France-Maroc

"Quand Averroès mourut en 1198, la philosophie arabe perdit en lui son dernier représentant, et le triomphe du Coran sur la libre-pensée fut assuré pour au moins six cents ans", écrit en 1852 Ernest Renan dans Averroès et l’averroïsme. Plus d’un siècle et demi s’est écoulé et le préjugé contre la possibilité d’un essor intellectuel en terre d’Islam demeure. Le contexte actuel n’aide guère : terreur djihadiste, montée du radicalisme musulman, diffusion prosélyte du wahhabisme - version rigoriste et ultraconservatrice du Coran telle que pratiquée en Arabie saoudite et exportée aux quatre coins du globe… Mais cette vision qui voudrait que seul l’Occident fût capable de produire de la pensée est pour le moins ethnocentrique. C’est "le vol de l’histoire", pour reprendre la formule de l’anthropologue anglais Jack Goody.

Donc, que les Arabes aient cessé de philosopher à partir du XIIIe siècle, Ali Benmakhlouf ne peut l’entendre ! Cela dit, l’honnête homme qu’il est, triplement formé à la philosophie de la logique, à la linguistique arabe et aux mathématiques, préfère le savoir à la polémique et répond par un livre : Pourquoi lire les philosophes arabes.

Le philosophe, né à Fès en 1959 et enseignant en France depuis trente-cinq ans, rappelle que "comparer les cultures "sans les égaler" comme aurait dit Montaigne, ne consiste pas à les réduire les unes aux autres bien sûr, mais nous communiquons entre nous et nous vivons de la parole partagée, celle-ci étant "moitié à qui la dit, moitié à qui la reçoit", selon la formule de Montaigne encore."

Au Moyen Age, la relecture de la philosophie grecque par les philosophes arabes, ou plutôt en arabe - Avicenne (Ibn Sînâ) est persan, al-Fârâbî vient d’Asie centrale, Averroès (Ibn Ruchd) et Avempace (Ibn Bâjja) sont d’Andalousie - est un apport crucial. Ces auteurs, au travers de la langue arabe, renouvelleront notamment la métaphysique aristotélicienne. Averroès, lu par saint Thomas d’Aquin, est surnommé "le Commentateur", à comprendre, celui d’Aristote.

Le terme "philosophie" trouve vite sa traduction en arabe : falsafa. Les philosophes, pour éviter les foudres des théologiens, vont intégrer la religion pour la retourner contre les théories des religieux eux-mêmes. La falsafa se fait passer pour hikma, "sagesse", mais elle s’appuie sur la technique du syllogisme, le raisonnement déductif, dans sa quête de vérité. Interprétation des sourates à la lumière du logos (une raison intelligible) ou paradigme du médecin qui connaît par la nature… ces philosophes ont la vision d’un Dieu raisonnable, borné par la bonté et la sagesse, cette âme du monde qui n’est autre, selon Aristote, que l’intellect. "Puisqu’il est bien établi, selon Averroès, que la loi divine fait une obligation d’appliquer à la réflexion sur l’univers la spéculation rationnelle, comme la réflexion consiste uniquement à tirer l’inconnu du connu, […], et que cela est le syllogisme, ou se fait par syllogisme, c’est pour nous une obligation de nous appliquer à la spéculation sur l’univers par le syllogisme rationnel." Contre toute tentation obscurantiste, voilà qui est dit. Sean J. Rose

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