« Tandis que le Flore s’emplissait d’agents du Komintern du monde de l’édition, tous plongés devant un Perrier tranche dans le supplément littéraire largement financé en sous-main par les éditions du Sémaphore […], il se demanda s’il n’avait pas raté sa vie en transformant le miel en fiel. Plus aucune écriture ne trouvait grâce à ses yeux, il virait à l’aigre. Où en était son désir ? Ne serait-ce que celui d’écrire ? »
C’est une comédie. Une tragédie également. Et peut-être aussi une éducation sentimentale. Une histoire qui pourrait bien sûr ne concerner qu’une petite quarantaine de clampins frileusement réfugiés autour de l’église Saint-Germain-des-Prés et qui, à mieux y regarder, a quelque chose d’universel dans son désir d’étreindre le monde et de ne pas laisser filer sa promesse. Cette histoire-là, les infortunes et marivaudages torves d’un critique littéraire au tournant de deux siècles tout aussi épuisés l’un que l’autre, c’est celle d’Arnaud Viviant et de son nouveau roman, La vie critique.
Le narrateur, gamin de Tours venu à la littérature par la grâce d’une certaine Michèle qui ne partage son lit qu’à condition qu’il en aille de même de sa bibliothèque, et qu’il ne quittera que pour mieux rêvasser à la perspective de la retrouver un jour, a eu 20 ans à l’heure du tournant de la rigueur. Ça commençait bien… Depuis, il va de Charybde en Scylla, de Sartre à Debord, de terrasses de cafés en plateaux de télé, d’une femme et d’un livre à l’autre, traversant Paris en scooter au rythme de son ivresse et de ses écœurements.
Bien sûr, il y a derrière tout ça un petit côté « name dropping » et jeu de massacre qui pourrait agacer si ce n’était aussi atrocement drôle. Bien sûr, Viviant fait l’intéressant, mais il peut tellement l’être… Se vivant comme issu d’une génération pour qui arriver après la bataille est une ontologie (« ses amis et lui comprirent qu’ils étaient venus pour éteindre les lumières, ce qui leur prit tout de même près de vingt ans »), il est le ténébreux, le veuf, l’inconsolé. Car, que l’on ne s’y trompe pas (même si, à l’en croire, un critique littéraire, ça trompe énormément, et d’abord lui-même), ces chagrins-là sont d’amour.
Olivier Mony