C’est un art poétique. Un genre en soi qui serait assez le nôtre à nous, lecteurs, qui n’ignorons pas qu’il n’y a nulle part plus de vie, plus de secrets, de colères et de joies terribles que dans une bibliothèque bien fournie. Pour Dany Laferrière, vivre debout, c’est d’abord lire et écrire couché. Le pyjama, autant que le stylo, est son outil de travail, son habit de lumière. Dans Journal d’un écrivain en pyjama que Grasset fait paraître en France en cette rentrée (après une publication initiale au Québec en février dernier), il passe à confesse comme un employé méritant passerait à la compta pour toucher une prime bienvenue. Il faudrait, pour bien faire, pour rendre compte de l’extrême vivacité de son style qui chez lui est comme une pensée incarnée, en action, citer chacun des 182 « conseils à un jeune poète » qui composent le volume. Tout y passe en effet, de l’éblouissement premier jusqu’aux conditions d’un exercice serein du métier d’écrivain. Tout se mélange aussi dans une soumission bienheureuse aux exigences de la littérature, c’est-à-dire dans une confusion savamment entretenue entre les grâces de la lecture et celles de l’écriture. Bien sûr, au fil des pages et des « préceptes », Laferrière signe une reconnaissance de dettes à ceux qui ont rendu son chemin possible. Sous réserve d’inventaire plus complet, on notera combien Ovide, Voltaire, mais aussi Borges, Garcia Marquez, Capote ou Philip Roth semblent avoir éclairé (et continuer à le faire) son chemin. La soixantaine alerte (même si un peu ensommeillée, pyjama oblige), l’auteur y déploie comme jamais un talent où l’humour et l’observation minutieuse du réel comme de son étrangeté quotidienne composent le portrait chinois d’un écrivain résolument maître de ses moyens. On retrouvera dans ces fugues en mode faussement mineur quelque chose de l’érudition qui faisait tout le prix du Pourquoi lire ? de Charles Dantzig chez Grasset (2010), qui est par ailleurs l’éditeur français de Dany Laferrière. En littérature aussi, il n’y a pas de hasard. Juste des rendez-vous. O. M.