Une douzaine de romans traduits en français chez Albin Michel, Chandeigne et Métailié ont assis la renommée du fabuliste africain Mia Couto, très remarquable écrivain lusophone, né en 1955 au Mozambique de parents émigrés du Portugal. Pour ceux toutefois qui n'auraient pas encore goûté à la potion magique de ce sorcier de la langue, on redira ce que l'on trouve dans ses histoires et que le titre de ce nouveau roman condense : des remèdes et des poisons, à prescrire à une humanité atteinte de douloureux maux de l'âme. Dans ce dernier roman, moins violemment crépusculaire que le très beau livre L'accordeur de silences (Métailié, 2011), qui reparaît dans la collection "Suite", le personnage principal est d'ailleurs médecin. Le Portugais Sidonio Rosa est en mission humanitaire à Vila Cacimba, une ville imaginaire du Mozambique dont le nom signifie "bruine". La véritable raison de son séjour est de retrouver la belle mulâtre Deolinda, rencontrée lors d'un congrès à Lisbonne. La jeune femme n'étant pas là, il rend visite chaque jour à ses parents. Le père, Bartolomeo Sozinho, mécanicien à la retraite, a officié jusqu'à la chute du régime colonial en 1974 sur un paquebot transatlantique où il était le seul Noir de l'équipage. Mourant, il ne sort plus de sa chambre, d'où il s'emporte contre sa femme et le monde entier. Dona Munda, son épouse, blanchisseuse, nourrit à l'égard du vieillard une rancune aux motifs obscurs et "souffre de rides jusque dans [son] âme". Tout le monde réclame au docteur Rosa des médicaments : pour ne pas rêver, pour mourir, pour tuer, pour s'évanouir... Tandis que l'administrateur de la ville, où se propage une mystérieuse épidémie, voudrait, lui, un remède pour éliminer totalement la sueur. Mais "vivre est incurable", constate le thérapeute.
Secrets de famille et aveux, peur et désir sous perfusion d'espoir, malédictions et folie..., les patients enroulent leur jeune médecin dans un écheveau de mensonges et de rêves. Alternant narration au présent et récit au passé avec une science du temps, Mia Couto continue de veiller l'oubli, cette "dernière mort des morts", ce remède-poison qui soigne et qui tue.