Agathe se fait une coupure dans la paume de la main en préparant un dîner d’anniversaire pour son mari. Rien de grave, un accident domestique anodin, mais s’entaillant avec une simple boîte de thon, elle fend la peau qui recouvre le passé. L’entaille devient brèche, rouvrant sous la blessure superficielle toutes les plaies. Et le sang qui jaillit a le même goût que celui gouttant de son « nez éclaté » par la première gifle de son serial-cogneur de beau-père lorsqu’elle avait 5 ans : « une saveur métallique, pas désagréable », se souvient-elle. Tandis que dans la cuisine, devant un érable bonsaï qui a l’air mort, Agathe poursuit la préparation des œufs mimosa, du bœuf au curry et d’une crème au chocolat parfumée au Cointreau prévus au menu du repas festif, les souvenirs violents s’écoulent. La revoilà petite fille martyrisée, grande sœur protectrice pourtant impuissante à empêcher son jeune frère adoré de plonger dans la poudre et d’en mourir, jeune épouse abusée à qui son tortionnaire familier, pendant huit ans de vie conjugale, a promis des « larmes de sang ». Mais le chemin défoncé qu’a été la vie d’Agathe est aussi un itinéraire de résilience, peuplé de rêves refuges inaccessibles aux bourreaux - l’île chimérique d’Ayacucho, le valeureux capitaine Troy - et jalonné des conseils de survie de pépé Redecker, revenu d’Auschwitz, qui soutenait que « l’humour et l’imagination sont les seules issues de secours »… Nadine Diamant avance ainsi sans ciller, dans le vif de la tragédie d’Agathe, sensible à la sensualité étrange du cru, du sordide, à « cette beauté qui se trouve au cœur de tous les désastres ».
Publié par La Grande Ourse, jeune maison fondée par Paulina Nourissier-Muhlstein et Valérie Denmat, qui vient de remporter le prix du Premier roman avec Repulse bay d’Olivier Lebé, L’entaille n’est que le sixième roman de Nadine Diamant, lauréate elle aussi du prix du Premier roman avec Désordres, il y a vingt-cinq ans. V. R.