Agnès Desarthe a la plume légère sur des sujets qui ne le sont pas. Après l’incursion réussie dans le roman autobiographique avec Comment j’ai appris à lire (Stock, 2013, qui ressort en Points ce mois-ci), la romancière expérimente pour la première fois des petites formes, une distance courte dans laquelle son verbe vif fait merveille. Ce qui est arrivé aux Kempinski, titre de la dernière nouvelle, est une fausse promesse car de ces Kempinski, on ne saura rien. Sinon qu’ils ont donné leur nom à un hôtel berlinois dans lequel descend une historienne spécialiste de la Shoah… Pirouette, clin d’œil d’une écrivaine qui choisit de ne regarder que dans l’entrebâillement d’une fenêtre. Ainsi dans ces quatorze nouvelles sans lien entre elles, même si l’amour, souvent contrarié, circule dans toutes, il arrive certes beaucoup de choses en peu de pages mais le plus important est peut-être ce qui n’est pas arrivé ou, du moins, ce que l’on ne nous racontera pas.
La plupart des personnages vivent des moments où ils s’excluent de la réalité, rêvassent, où "les pensées s’enchaînent languissammentdans [leur] esprit". C’est ainsi qu’Agnès Desarthe amortit courtoisement les drames. En introduisant aussi, par petites touches, du surnaturel dans le naturel, du fantastique dans le normal : une femme converse régulièrement avec le diable depuis ses 12 ans ; une autre, sortie se promener dans la nature pour apaiser la tension née d’une dispute avec son "fils nihiliste [qui] s’est autodéclaré zone interdite depuis plusieurs années déjà", croise un faisan qui se présente comme un poilu de la guerre de 14… De fait, si l’on rencontre parfois comme dans Une partie de chasse (L’Olivier, 2012), des animaux doués de conscience, ce sont surtout les volatiles qui représentent cette espèce dans le recueil, ceux dont une jeune fille cherche à restituer les chants pour le "site très confidentiel", "oiseaux de nos campagnes", ceux qu’imite Golda dans sa chute lors de son baptême de saut à l’élastique, le jour de son 65e anniversaire. "Leurs plumes lisses les aident à s’immiscer entre deux vents, ils volent par inadvertance. L’inadvertance du ciel qui oublie leur présence, ils volent par discrétion. Et c’est vrai, ça marche. Golda vole. Personne ne la croira, bien entendu." Nous, on veut bien croire Agnès Desarthe.
Véronique Rossignol