Le dernier dimanche de ce mois, la Grèce sera l’objet de tous les regards. Le parti de la gauche radicale, Syriza, est aux portes du pouvoir, la zone euro tremble, la République hellénique risque d’être éjectée de la monnaie unique… La crise en Grèce ne date pas d’hier. Berceau de la démocratie dans l’histoire et l’imaginaire européens, ce pays dans son avatar démocratique contemporain a connu nombre de dysfonctionnements : endogamie politique, administration pléthorique, système fiscal ubuesque - les armateurs ne payent pas d’impôts et il n’existe pas de cadastre ! Quoi qu’il en soit, il existe bel et bien une littérature vivace dont fait partie Ersi Sotiropoulos, née en 1953 à Patras, poète et auteure de cinq romans. La Grèce d’aujourd’hui en est la toile de fond.
Dans sa première traduction française Zigzags dans les orangers (Maurice Nadeau, 2003), on découvrait un sens virtuose de la construction allié à un regard acéré plein de dérision. Sotiropoulos y racontait un dédale d’histoires de sexe frustré et de névroses épanouies, mettant en scène entre autres personnages une femme de lettres mûre et mourante et une jeune fille en fleur diariste. Dans Dompter la bête (Quidam, 2011), l’ironie ravageuse de l’auteure se déployait dans une fable politico-psychologique avec pour protagoniste un puissant conseiller obsédé de "tauromachie érotique". Dans Eva, on est à la veille de Noël, plongé dans une fête avec l’héroïne qui n’a plus trop la tête à ça. Elle n’a plus l’insouciance des jeunes années où elle gobait de l’ecstasy et se promenait au petit matin entre les étals du marché. Eva, qui a publié une nouvelle dans une revue, travaille désormais dans l’édition mais a un peu oublié la littérature. Elle fréquente des intellectuels de la classe moyenne qui jasent sur fond de crise économique. Elle vient de se disputer avec son mari Nikos, un écrivain de gauche plus âgé qu’elle. Nikos a disparu au cours de la soirée. Elle a bu et embrassé un jeune romancier qu’elle surnomme "Blobo". Elle quitte la fête et erre dans des quartiers d’une Athènes en déréliction. Au récit de sa dérive se mêlent les souvenirs de son père que l’hôpital public ne peut plus accueillir, refluent aussi les obsessions - un vol qu’elle ne cesse de raconter, le merveilleux baiser de Blobo. Etrange nuit de Noël où Eva va rencontrer Moïra, mi-prostituée mi-pythie, son mac Ramon, Eddy le voleur, la jeune Tikita au pied bot… Tous se retrouvent dans une chambre d’hôtel dans une sorte de huis clos, miroir de leur enfermement existentiel.
Sean J. Rose
