Le Nom de la rose
Grasset et Fasquelle
C'est d'abord un roman policier, un vrai, un grand polar, qui sort à jets savamment cadencés d'une plume que se disputent Conan Doyle et saint Thomas d'Aquin : un «série noire» pour amateurs de crimes en série et de criminels hors pair qui ne se découvrent qu'à l'ultime rebondissement d'une enquête allant, entre humour et cruauté, malice et séductions érotiques, train d'enfer dans un lieu voué au silence, à la chasteté, à la prière. Car oyez, oyez, bonnes gens : c'est le moine qu'on assassine. Crimes, stupres, sodomie : tout advient en l'espace de sept jours (une mort violente par jour) dans la très sainte enceinte d'une abbaye bénédictine située entre Provence et Ligurie, en l'an de grâce et de disgrâce 1327. Rien ne va plus dans la chrétienté. Le pape est en Avignon pour défendre son pouvoir temporel et abreuver sa soif de richesses. L'empereur d'Allemagne étend son règne sur l'Italie et, avec lui, les théologiens impériaux taxent le pape d'hérésiarque simoniaque et bellement l'appellent la «Putain d'Avignon». Rebelles à toute autorité, des bandes d'hérétiques sillonnent les royaumes et servent à leur insu le jeu impitoyable des pouvoirs. En arrivant dans le havre de sérénité et de neutralité qu'est cette abbaye - admirée de tout l'Occident pour la science de ses moines et la richesse de sa bibliothèque - afin de mettre la dernière main à la rencontre entre deux délégations ennemies (hommes du pape et franciscains), l'ex-inquisiteur Guillaume de Baskerville, accompagné de son secrétaire Adso de Melk, se voit prié par l'Abbé de découvrir au plus vite qui a poussé un des moines à se fracasser les os au pied des vénérables murailles. C'est le premier des sept assassinats qui seront scandés par les heures canoniales de la vie monastique, danse de mort autour d'une bibliothèque interdite d'où se feront entendre les sept trompettes de l'Apocalypse et le rictus du Diable et le rire d'Aristote. Le Nom de la rose est un roman hénaurme, une épopée de nos crimes quotidiens qu'un triste sçavoir nourrit. La Bibliothèque, l'Abbaye du crime furent d'abord les titres auxquels songea Umberto Eco, qui arrêta son choix à cette mystérieuse rose dont il ne reste sous les cieux d'Italie et de France que le nom palpitant, l'harmonieuse forme vaporeuse, le parfum mystique et soufré. Le Verbe du commencement rejoint le mot de la fin dans une parabole sanglante et risible où s'inscrit l'histoire de l'humanité. J.-N.S.