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1001libraires.com : un portail qui coince

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1001libraires.com : un portail qui coince

La nouvelle équipe dirigeante de 1001libraires.com, en selle depuis quatre mois, se démène pour éviter le dépôt de bilan, cherchant un nouveau partenaire et un demi-million d'euros pour continuer l'aventure.

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Par Clarisse Normand, Fabrice Piault
Créé le 06.03.2015 à 20h04 ,
Mis à jour le 23.03.2015 à 11h28

Neuf mois après le lancement du portail, les libraires sont déçus et le font savoir. Après avoir cumulé depuis le début des problèmes techniques et commerciaux, 1001libraires.com, créé pour fédérer l'ensemble des indépendants et leur assurer une réelle présence commerciale sur Internet, est considérablement fragilisé. Au point que le dépôt de bilan figure aujourd'hui parmi les hypothèses. «J'ai perdu toutes mes illusions", lance Michèle Capdequi (La Préface, à Colomiers). Actionnaire et adhérente du portail (1), elle attendait beaucoup de 1001libraires.com... tout comme nombre de ses confrères. «Avant j'avais un petit site qui fonctionnait et qui permettait aux clients de la librairie de s'informer et de réserver leurs livres sans problème. Aujourd'hui, j'ai un site qui est censé leur offrir plus de possibilités mais qui bogue et qui les mécontente." Plus nuancé, Nicolas Fleur (Banse, à Fécamp), également actionnaire et adhérent, pointe lui aussi les mauvaises performances de l'outil : lenteur des recherches, maladresses lexicographiques induisant des incompréhensions chez les clients...

UN OUTIL CLÉS EN MAIN

Pour autant, même avec des imperfections, même modestement, le portail fonctionne, comptabilisant en moyenne 2 000 visites par jour, 130 actes de réservations par mois auprès des 300 librairies géolocalisées, 180 actes d'achat par mois sur le portail lui-même et une centaine d'autres sur les sites des 28 librairies adhérentes. D'ailleurs, parmi ces dernières, les échos ne sont pas tous négatifs, loin s'en faut. Plusieurs même ne cachent pas leur satisfaction d'avoir un outil clés en main qu'ils peuvent personnaliser. Jean-François Delapré (Saint-Christophe, à Lesneven) reconnaît qu'il n'aurait "jamais eu les moyens d'avoir un site marchand autrement". De son côté, Maya Flandin (Vivement dimanche, à Lyon) fait observer : "Depuis que j'ai changé de site avec 1001libraires, le nombre de visites quotidiennes que j'ai sur Internet est passé de 30 à 100." En fait, les critiques les plus virulentes émanent des libraires actionnaires, qui sont davantage impliqués financièrement. Outre les problèmes opérationnels déjà relevés, plusieurs d'entre eux dénoncent aussi le manque de transparence et l'absence de consultation sur les décisions prises. C'est le cas de l'association Libraires Atlantique, en Aquitaine, qui vient d'adresser un courrier au président de PL2I, Christian Thorel (Ombres blanches à Toulouse) : "Depuis le début de cette aventure professionnelle, écrit-elle notamment, nous déplorons d'avoir été mis devant le fait accompli à chaque conseil d'administration, et cela en dépit de nos propositions récurrentes d'aide pour accompagner au mieux ce projet avec nos énergies et nos compétences."

GÂCHIS

A ce stade, une impression de gâchis domine. Car le portail a nécessité beaucoup d'énergie, de temps... et d'argent. Ayant reçu 1,5 million d'euros du Centre national du livre, de l'Association pour le développement de la librairie de création (Adelc) et du Cercle de la librairie (chacun ayant apporté 500 000 euros sous forme de prêt à taux zéro, de compte-courant remboursable à taux zéro ou de subvention), il aurait aussi déjà mobilisé quelque 650 000 euros sur les 720 000 que doivent apporter les 36 libraires actionnaires, auxquels se sont jointes deux associations. Globalement, on parle de 2,5 millions d'euros déjà utilisés. Or il serait nécessaire d'ajouter encore un demi-million d'euros pour régler les dettes liées à l'exploitation et pour repartir sur un projet viable.

Cette remise en ordre de marche, c'est le défi qu'a accepté de relever, depuis cet été, Christian Thorel, élu président de PL2I, la société gérant le portail, avec le soutien actif de deux libraires actionnaires et adhérents, Matthieu de Montchalin (L'Armitière, à Rouen, président du SLF) et Michel Paolasso (Librairie lorguaise, à Lorgues). "Nous n'avons rien à y gagner personnellement mais nous croyons aux vertus de la chose collective", argumente Christian Thorel, qui précise que tous ses frais liés à cette mission (déplacements et autres) "sont imputés sur les comptes d'Ombres blanches et non de PL2I".

Consciente d'avoir hérité d'un outil surdimensionné, la nouvelle équipe a déjà commencé par réduire la voilure. Quatre licenciements économiques ont été prononcés sur une équipe de sept personnes au sein de PL2I, et surtout le contrat passé avec le prestataire Deret pour une gestion logistique centralisée des commandes à expédier a été dénoncé. Mais il y a encore à faire en matière de rationalisation : en premier lieu, en ce qui concerne la gestion des stocks qui étaient chez Deret près d'Orléans. Rapatriés dans un entrepôt près d'Evreux, quelque 60 000 à 80 000 livres attendent aujourd'hui d'être retournés. Le problème, c'est qu'ils sont en vrac dans des cartons, et qu'il faut auparavant les trier par diffuseur. Ce que s'est proposée de faire la librairie L'Armitière... si aucune autre solution n'émerge. Ces retours redonneraient un peu d'air à PL2I confrontée à plusieurs échéances au 31 décembre.

LE RISQUE DU DÉPÔT DE BILAN

Parallèlement à cette restructuration, la nouvelle gouvernance travaille à la relance du portail en sachant que celle-ci verra sa mise en oeuvre conditionnée par l'apport de fonds supplémentaires et qu'auparavant le portail devra s'être mis à l'abri d'un dépôt de bilan. Car le risque plane toujours. D'ailleurs, vu les évolutions passées, certains libraires et autres professionnels du livre envisagent clairement, parmi les scénarios possibles, l'arrêt définitif du portail, certains le prévoyant même juste au lendemain du Salon du livre.

Au sein de PL2I, on préfère bien sûr évoquer les scénarios d'avenir. "Une solution est sur le point d'émerger", assure Matthieu de Monchalin. "Au départ, nous avons voulu créer nous-mêmes un outil très performant en assemblant des éléments de provenance différente, explique Michel Paolasso. On voit le résultat. A l'avenir, nous serons plus modestes et nous privilégierons des solutions déjà existantes." Un appel d'offres a d'ailleurs été lancé. Et trois possibilités existent à ce jour autour respectivement d'Electre, de Tite-Live associé à TMIC, et de Gibert Joseph. Pour l'instant, les deux dernières options sont privilégiées, comme le confirme Christian Thorel (voir entretien page 13). A la tête d'un site jugé performant, l'enseigne de librairies Gibertjoseph.com offrirait une solution "tout en un" très vite opérable avec à la fois une plateforme technique efficace, des services logistiques et une aide marketing pour améliorer la visibilité du portail sur le Web. Il reste que confier leur avenir sur Internet à un de leurs confrères, qui se positionne parfois comme leur concurrent, n'enthousiasme pas forcément les libraires. Jugée politiquement plus acceptable, encore que certains dénoncent le caractère fermé du système de gestion de Tite-Live, la solution apportée par les deux sociétés informatiques Tite-Live et TMIC s'appuierait sur le site Placedeslibraires.com, efficace mais peu connu du grand public, et devrait aussi être complétée par une association avec Lalibrairie.com, comme partenaire logistique (voir page 15).

Toutefois, sachant que PL2I recherche une solution permettant à la fois d'administrer le portail, de fabriquer des sites pour les libraires, d'assurer la remontée de leurs stocks pour proposer un service de géolocalisation, de permettre la vente de livres numériques et de prendre en charge les commandes et les envois des livres papier pour les libraires qui ne souhaitent pas le faire eux-mêmes, un panel plus complexe de solutions n'est pas non plus à exclure.

Quoi qu'il en soit du choix final, il sera fait par les libraires actionnaires, assure Christian Thorel, et son économie devra être simple, stable et surtout permettre, toujours selon ce dernier, de couvrir les frais de fonctionnement du portail et le remboursement progressif des dettes. A côté des adhésions et des négociations sur les niveaux de commissions retenus pour les ventes réalisées à partir du portail, Christian Thorel évoque une contribution annuelle des Régions. "Il ne serait pas aberrant que les Régions aident leurs libraires à être présents sur le portail et versent chacune à ce titre une somme d'environ 15 000 euros par an. » Une façon d'obtenir une nouvelle source de financement puisque l'idée, un temps évoquée mais très mal perçue, de faire payer aux libraires le service de géolocalisation du portail a été abandonnée.

MODESTE ET RÉALISTE

Pragmatique, Michel Paolasso annonce aussi d'autres sources de revenus possibles avec la vente d'espace publicitaire, en lien bien sûr avec les livres. "L'objectif est de pouvoir offrir aux libraires des services performants mais peu chers afin de rendre notre offre la plus attractive possible." Ce que confirme Matthieu de Montchalin, au titre de président du Syndicat de la librairie française : «Le portail a toujours eu vocation à offrir aux petits et moyens libraires une solution qui leur permette d'être présents sur Internet et d'accéder au numérique. Mais il doit aussi pouvoir accueillir les grands libraires et, pourquoi pas, les plateformes du type Leslibraires.fr, Lalibrairie.com... Il s'agit de permettre à chacun de se raccrocher."

Pour l'heure, en tout cas, insiste Michel Paolasso, fort des enseignements tirés de l'expérience vécue, il convient de rester modeste avec des projets réalistes.

(1) Le portail propose aux libraires plusieurs niveaux d'implication, les deux principaux étant, d'une part, la géolocalisation, qui permet de proposer la réservation d'ouvrages et le retrait en magasin (300 librairies seraient ainsi référencées) et, d'autre part, l'adhésion, qui permet de se doter d'un site personnalisable à travers l'habillage graphique et surtout les contenus éditoriaux.

POURQUOI ÇA MARCHE AU QUÉBEC

Lancé le 24 août (1), quelques mois après son cousin français 1001libraires.com, Ruedeslibraires.com reste discret sur ses chiffres. Mais, de l'avis général des libraires et des distributeurs québécois, qui regrettent juste une promotion publique insuffisante, le fonctionnement du portail collectif de vente en ligne de la librairie indépendante au Québec donne satisfaction. "Nous nous étions fixé des objectifs modestes, et nous sommes très contents de la fréquentation du site, du développement des achats en ligne, du service de "cueillette" en librairie et de la vente aux collectivités", indique Dominique Lemieux, directeur général de la coopérative des Librairies indépendantes du Québec (Liq), à l'origine du portail qui propose des livres imprimés comme des livres numériques.

A la racine de ce premier succès du portail québécois, il y a d'abord un engagement des libraires indépendants porté par les plus importants d'entre eux, tel Pantoute, à Québec, qui ont jugé plus productif de mettre leurs moyens au service de l'action collective que de faire cavalier seul. Ils ont créé dès février 2007 le groupement Liq, transformé en août 2011 en coopérative, pour se doter, à côté de l'Association des libraires du Québec, d'outils communs de promotion (magazine Le Libraire, catalogues, sites Internet...).

En second lieu, la création de Ruedeslibraires.com a été précédée, en mars 2008, par l'ouverture d'un site de vente consacré aux livres québécois, Livresquebecois.com (2). Cette initiative réussie a permis aux libraires des Liq de se faire la main avant d'inaugurer un portail plus ambitieux.

Aujourd'hui, 62 des 85 librairies membres des Liq utilisent Ruedeslibraires.com, dont 45 avec un site développé par le portail et 17 avec leur propre site. Dans les mois qui viennent, Dominique Lemieux entend développer des partenariats avec des blogueurs, faciliter les interventions des libraires sur leurs pages dédiées et accroître les ventes de livres numériques aux collectivités, qui pèsent déjà près de 15 % de l'activité du portail.

(1) Voir "Le portail sur les rails... au Québec", LH 874, du 26.8.2011, p. 57.

(2) LH 723, du 29.2.2008, p. 70.

D'autres offres pour les libraires

 

Loin de l'ambition de 1001libraires.com, d'autres sites collectifs permettent aux libraires indépendants d'être présents et de vendre sur Internet. Etat des lieux.

 

Dans les locaux de la Générale du livre, à Paris, qui assure la logistique de la plateforme Lalibrairie.com.- Photo LAURENT SAZY/FEDEPHOTO

Unique en son genre, tant par la volonté collective qui l'anime, que par l'ambition de ses choix ou encore par les moyens financiers qu'il a requis, le portail 1001libraires.com n'a pas d'équivalent sur le marché. Pour autant les libraires qui n'ont pas de site Internet en propre peuvent avoir, par d'autres biais, une présence commerciale sur la Toile. Plus acceptables pour ces derniers que les marketplaces d'Amazon, de Fnac.com ou encore de PriceMinister, de plus en plus désireux de travailler avec des professionnels, certaines plateformes ont été créées par des libraires indépendants, ou par leurs partenaires, et proposent à leurs confrères des solutions constituant une alternative partielle au portail.

A côté de trois dispositifs principaux, d'autres solutions collectives comme celle de Lekti-ecriture.com devraient bientôt émerger, notamment pour la vente de livres numériques.

Placedeslibraires.fr. Créée en 2008 par Tite-Live, cette plateforme regroupe un peu plus de 250 librairies. Conçue comme un site de géolocalisation, elle permet aux internautes de chercher un livre, de le localiser chez un libraire puis de le réserver ou de le commander. Elle leur propose aussi, quand la librairie a son propre site Internet, d'y accéder directement. Pensé pour générer du trafic en magasin, Placedeslibraires n'assure en revanche aucun envoi de livres aux internautes et n'a pas vocation à apporter des contenus éditoriaux. A côté des livres papier, la plateforme propose en revanche, via ePagine (filiale de Tite-Live), la vente d'ouvrages numériques pour les établissements qui le souhaitent. Techniquement performant et peu coûteux (seul un droit d'entrée de 150 euros est demandé aux libraires pour qu'ils puissent vendre leurs livres), Placedeslibraires.fr est toutefois très peu connu du grand public après pourtant presque cinq ans d'activité.

Lalibrairie.com. Lancée il y a un an par la Générale Librest qui réunit un collectif d'une petite dizaine de libraires parisiens, cette plateforme fédère déjà plus de 700 libraires et en espère 2 000 pour la fin 2012. Egalement conçu pour générer du trafic dans les magasins, et en particulier dans les petites librairies, le site permet à l'internaute de commander des livres sur Internet sachant qu'il devra aller les retirer dans le point de vente de son choix. Prenant appui sur les outils logistiques mis en place pour La Générale du livre et Librest.com (deux autres activités de La Générale Librest), Lalibrairie.com pourvoit aux commandes de livres en les envoyant, non pas aux internautes, mais au point de vente où il est prévu qu'elles soient retirées.

Toutefois, depuis l'été, Lalibrairie.com permet aussi à ses partenaires de réaliser eux-mêmes les ventes sur leurs stocks. Au lieu de percevoir une commission de 10 % quand les livres sont fournis par Lalibrairie.com, ce sont eux alors qui reversent 10 % au site. Ayant récemment annoncé son 100 000e visiteur, le site entend monter en puissance en lançant une grande campagne de communication auprès du public début 2012.

Leslibraires.fr. En cours de constitution sous la houlette de la librairie Dialogues, cette plateforme a vocation à rassembler les libraires sur un site conçu pour avoir une certaine visibilité sur le Web, mais aussi à doter ceux qui n'y ont pas de présence individuelle de sites clones de celui de la librairie brestoise.

Par ailleurs, Leslibraires.fr peut faire valoir l'accord passé avec Google pour vendre les livres numériques de sa plateforme Google eBooks. Pour les libraires partenaires, le coût sera bien sûr fonction de leur niveau d'implication : géolocalisation, affiliation ou adhésion, sachant que dans ce dernier cas un abonnement mensuel de 250 euros est prévu en plus de la commission sur les ventes. Ambitieux, Leslibraires.fr doit maintenant faire ses preuves et accueillir ses premiers partenaires.

06.03 2015

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