Auteur de trois romans en trente-cinq ans, Franck Balandier est un écrivain singulier et discret, qui a décidé de se lancer un défi : comment mettre en roman l’irracontable ? A savoir la déportation, durant la Seconde Guerre mondiale, des homosexuels, les "triangles roses", au Natzweiler-Struthof, le seul camp de concentration construit par les nazis sur le territoire français. Sinistre symbole, même s’il y avait aussi, au Struthof, des Juifs ou des Tsiganes, victimes de la même barbarie et menacés du four crématoire.
Pour raconter cette histoire nourrie de faits et de personnages authentiques, Balandier laisse la parole à Etienne, né en 1918, orphelin de père et abandonné par sa mère. Après dix-huit ans d’orphelinat, le jeune homme commence à vivre dans le Paris du Front populaire. Il rencontre Georgette, une veuve de guerre communiste, pour qui il éprouve de l’affection. Mais il se rend vite compte qu’au lit ce n’est pas ça. Désormais, il assumera sa différence et les amours clandestines. Grâce à son amie, il fait la connaissance du beau Jules, un ouvrier, "un ange fatigué". Après quelque temps d’une espèce de ménage à trois, survient la guerre. Jules est mobilisé et Etienne se fait coincer. Il est emprisonné à Fresnes en 1941, puis déporté au Struthof en 1942. Pyjama rayé, triangle rose, tatouage 19852, il va vivre deux ans en enfer.
Au début, dans des chapitres brefs, avec un style simple, presque blanc, le narrateur expose sa situation. Nommé vidangeur du camp, il jouit d’une relative indulgence de la part de ses gardiens SS successifs : Ernst, fusillé parce qu’il lui a offert un dictionnaire allemand-français, Mina dite "Madame", dont le père, mourant, est alsacien, puis Wilfried. Il va même faire la connaissance d’Ingrid, la fille de Kramer, le commandant du camp, qui lui demandera un service un peu particulier. Et puis, au fur et à mesure que meurent ses compagnons d’infortune, qu’Etienne comprend pourquoi cette haute cheminée, tout au bout du camp, fume sans arrêt, il va se mettre à délirer. Maudire Dieu, et finir comme cobaye pour les médecins nazis.
En 1944, à la libération du Struthof, c’est un zombie nu et décharné que sauveront les Américains. Il lui faudra attendre jusqu’en 1968 pour "refaire sa vie", avec Arsène, un jeunot de 19 ans à qui il devra expliquer son bizarre tatouage. J.-C. P.